(BO du MEDDTL n° 2011/14 du 10 août 2011)
NOR : DEVL1117584C
Date de mise en application : application immédiate.
Catégorie : directive adressée par le ministre aux services chargés de son application, sous réserve, le cas échéant, de l’examen particulier des situations individuelles ; interprétation à retenir, sous réserve de l’appréciation souveraine du juge, lorsque l’analyse de la portée juridique des textes législatifs ou réglementaires soulève une difficulté particulière.
Domaine : écologie, développement durable.
Résumé : cette circulaire constitue un rappel et une mise à jour des principes généraux d’application de l’article L. 214-18 du code de l’environnement, concernant l’obligation légale de débit minimal à respecter pour les ouvrages en cours d’eau, garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans le cours d’eau, et de calcul du module. Elle apporte des éléments de méthodologie afin que les services appréhendent au mieux les cas particuliers introduits par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006.
Mots clés liste fermée : Energie_Environnement.
Mots clés libres : débit minimum biologique – débits réservés – cours d’eau – ouvrages – module –cours d’eau atypiques.
Référence : article L. 214-18 du code de l’environnement.
Annexes :
Annexe 1. – Modalités de mise en oeuvre.
Annexe 2. – Méthodes d’aide à la détermination de valeur de débit minimum biologique.
Annexe 3. – Guide méthodologique en vue de l’estimation du module.
Annexe 4. – Note méthodologique de caractérisation d’un cours d’eau atypique au sens du 1° de l’article R. 214-111 CE.
Annexe 5. – Éléments constitutifs du suivi écologique du débit minimal.
Circulaire abrogée : circulaire PN-SPH n° 86/15 du 10 mars 1986 relative à l’application de l’article L. 232-5 du code rural résultant de la loi du 29 juin 1984 sur la pêche en eau douce et la gestion des ressources piscicoles.
Document modifié : note aux services du 21 juillet 1987 relative au calcul du module interannuel en application de l’article 410 du code rural du ministère de l’environnement, DNP/DPP, service de l’eau.
Publication : Bulletin officiel ; site circulaires.gouv.fr.
La ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement aux préfets de région (directeurs régionaux de l’environnement [DREAL], directeurs de l’environnement, de l’aménagement et du logement [DEAL], directeurs régional et interdépartemental de l’environnement et de l’énergie) [pour exécution] ; préfets de département (directeurs départementaux des territoires, directeurs départementaux des territoires et de la mer) [pour exécution] ; directeurs généraux des agences de l’eau (pour information) ; directeur général de l’ONEMA (pour information) ; directeurs généraux des offices de l’eau (pour information) ; MEDDTL/DGALN/DEB (AT et GR) [pour information] ; MEDDTL/DGEC/DE (SD 3) [pour information] ; MEDDTL/SG (SPES et DAJ) [pour information] ; MAAPRAT/SG [pour information] ; MAAPRAT/DPMA (BBPC) [pour information] .
L’obligation principale de l’article L. 214-18 du code de l’environnement, créé par la loi no 2006-1772 du 30 décembre 2006 dite « loi sur l’eau et les milieux aquatiques » (LEMA) consiste notamment à maintenir en tout temps, dans le cours d’eau au droit ou à l’aval immédiat de l’ouvrage, un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l’installation de l’ouvrage.
Ce débit minimum biologique doit être déterminé sur la base d’une étude spécifique dans le cadre de la procédure d’autorisation ou de concession, de renouvellement du titre ou de demande de modification des valeurs de débit réservé en cours d’autorisation. Cette étude se doit d’analyser les incidences d’une réduction des valeurs de débit à l’aval de l’ouvrage sur les espèces vivant dans les eaux. Elle doit donc tenir compte des besoins de ces espèces aux différents stades de leur cycle de vie ainsi que du maintien de l’accès aux habitats qui leur sont nécessaires.
Le débit minimum biologique qui sera fixé à l’ouvrage ne doit pas être inférieur à une valeur plancher qui est pour la règle générale le 10e du module interannuel du cours d’eau. Conformément à la jurisprudence (1), afin de satisfaire l’obligation principale de l’article L. 214-18 du code de l’environnement de « garantir en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux », le débit minimum biologique peut être supérieur à cette valeur plancher du 10e du module naturel. Ces valeurs, instituées par le législateur en tant que minimum intangible, ne sont en aucun cas des références de qualité ni des normes. Le débit minimum biologique ne saurait donc être assimilé d’emblée au 10e du module.
(1) Cons. État., 15 avril 1996, n° 140965, M140965, M. Mortera.
Ce débit plancher est fixé à la valeur du 20e du module dans le cas des ouvrages situés sur des cours d’eau ou parties de cours d’eau dont le module est supérieur à 80 m3/s, ou pour les ouvrages hydroélectriques, listés dans l’article R. 214-111-3 du code de l’environnement, qui contribuent par leur capacité de modulation à la production d’électricité en période de pointe de consommation.
L’introduction de cette seconde valeur plancher reflète la volonté du législateur d’établir un compromis entre deux exigences différentes : d’une part, la protection des milieux aquatiques, d’autre part, la préservation d’une capacité de production hydroélectrique de pointe et la sécurisation du réseau électrique français.
Enfin, si le débit à l’amont immédiat de l’ouvrage est inférieur au débit réservé fixé par l’autorité administrative, c’est l’intégralité de ce débit entrant qui doit être restitué au droit ou à l’aval de l’ouvrage.
L’article L. 214-18 du code de l’environnement prévoit également des possibilités de déroger au débit plancher, dans le cas de cours d’eau ou sections de cours d’eau présentant un fonctionnement atypique. Le débit minimum à maintenir au droit ou à l’aval immédiat de l’ouvrage peut alors être fixé à une valeur inférieure.
De même, lorsqu’un cours d’eau ou une section de cours d’eau est soumis à un étiage naturel exceptionnel, des débits minimaux temporaires inférieurs aux débit minimaux prévus au I de l’article L. 214-18 du code de l’environnement peuvent être fixés par l’autorité administrative.
L’article L. 214-18 du code de l’environnement prévoit également en son II la possibilité de moduler les valeurs du débit minimal à maintenir au droit ou à l’aval immédiat de l’ouvrage, sous condition que la moyenne des débits réglementaires fixée pour les différentes périodes de l’année ne soit pas inférieure aux valeurs de débits minimaux fixées au I de cet article. De plus, la valeur la plus basse du débit ainsi modulé doit rester supérieure à la moitié de la valeur de débit minimal fixée en I. Cette possibilité de modulation, qui constitue une certaine approche de la notion de régime réservé, est intéressante tant au plan technique qu’environnemental, notamment dans le cas des exploitations mentionnées à l’article L. 431-6 du code de l’environnement. Elle permet de moduler la valeur du débit minimal selon les saisons, afin de s’adapter au mieux aux variations importantes de débit entre les crues et les étiages.
La valeur de ce débit minimum et ses modulations doivent être compatibles avec les objectifs environnementaux imposés par le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) en application de la directive-cadre sur l’eau (DCE) visant à l’atteinte ou à la préservation du bon état, du bon potentiel et au maintien du très bon état des masses d’eau concernées. En outre, la valeur de ce débit minimum devra respecter les intérêts visés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement, afin de veiller à « une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ».
Par ailleurs, l’article L. 214-18 du code de l’environnement prévoit en son IV que les obligations qu’il établit en matière de débit minimum sont applicables aux ouvrages existants, à la date de renouvellement de leur titre, et au plus tard au 1er janvier 2014. Ce relèvement généralisé des débits réservés à l’aval des ouvrages existants demeure traité selon les dispositions de la circulaire NOR : DEVO0918449C du 21 octobre 2009 relative à la mise en oeuvre du relèvement au 1er janvier 2014 qui précise bien que « les modalités d’application précisées dans cette circulaire sont exceptionnelles et spécifiques au cas particulier du relèvement du débit réservé obligatoire pour l’ensemble des ouvrages existants en 2014. En aucun cas, elles ne remettent en cause la procédure normale de détermination du débit réservé à fixer sur la base de l’étude d’incidences adéquate dans le cadre d’une procédure individuelle de délivrance ou de renouvellement d’autorisation ou de concession, que cette procédure ait lieu avant ou après 2014. Elle ne remet pas en cause non plus les possibilités de modification ou de retrait des autorisations, ou de prescriptions additionnelles, établies aux articles L. 214-3 et L. 214-4 du code de l’environnement ».
L’annexe 1 à la présente circulaire précise les modalités de mise en oeuvre de l’article L. 214-18 du code de l’environnement. L’annexe 2 présente les méthodes d’aide à la détermination des valeurs de débit minimal, prévues au I, garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans le cours d’eau, principale obligation de cet article. L’annexe 3 apporte des éléments méthodologiques en vue de l’estimation de ce débit moyen interannuel. L’annexe 4 présente une note méthodologique de caractérisation d’un cours d’eau atypique au sens du 1° de l’article R. 214-111 CE. Enfin l’annexe 5 liste les éléments constitutifs du suivi écologique du débit minimal.
Vous voudrez bien me faire connaître, sous le présent timbre, les difficultés que vous pourriez rencontrer dans l’application de la présente circulaire.
La présente circulaire sera publiée au Bulletin officiel du ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.
Fait le 5 juillet 2011.
Pour la ministre et par délégation :
Le secrétaire général,
J.-F. Monteils
La directrice de l’eau et de la biodiversité,
O. Gauthier
Annexe 1 : Modalités de mise en oeuvre de l'article L. 214-18 du code de l'environnement
1. Champ d’application de l’article L. 214-18 du code de l’environnement
L’article L. 214-18 du code de l’environnement a été créé par la loi no 2006-1772 du 30 décembre 2006 dite « loi sur l’eau et les milieux aquatiques » (LEMA). Il reprend, en les modifiant, les dispositions de l’ancien article L. 432-5 du même code. Il prévoit en son I que tout ouvrage dans le lit d’un cours d’eau doit comporter des dispositifs maintenant dans son lit un débit minimal à l’aval garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans ce
cours d’eau.
Le respect de cette obligation intéresse donc l’ensemble des ouvrages barrant partiellement ou totalement le lit d’un cours d’eau et permettant une dérivation et/ou un stockage des eaux sans distinction de statut ou d’usage, quel que soit le régime législatif d’autorisation auquel il est soumis, en tout temps, en dehors du Rhin et des parties internationales des cours d’eau partagés. S’agissant des concessions réunissant des prises d’eau de part et d’autre d’une frontière, l’article L. 214-18 du
code de l’environnement s’applique uniquement aux prises d’eau situées sur le territoire français (hors cas du Rhin).
La présente circulaire s’applique dans tous les cas d’autorisations, de déclaration ou de concessions de nouveaux ouvrages dans le lit des cours d’eau, de renouvellements d’autorisation, de déclaration ou de concession de tels ouvrages, ou de toutes autres mesures de police de l’eau liées au débit réservé pouvant être prises en cours d’autorisation, de déclaration ou de concession. En vue de respecter les intérêts énumérés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement, pour les ouvrages relevant de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement, les dispositions techniques de l’article L. 214-18 seront traduites, si nécessaire, dans des arrêtés complémentaires aux arrêtés d’autorisation de ces installations classées pour la protection de l’environnement.
La présente circulaire ne s’applique pas à la procédure de mise en oeuvre du relèvement généralisé des débits réservés à l’aval des ouvrages existants au plus tard au 1er janvier 2014 qui demeure traitée selon les dispositions de la circulaire NOR : DEVO0918449C du 21 octobre 2009.
L’article L. 214-18 du code de l’environnement ne traite que du débit à maintenir dans le lit d’un cours d’eau au droit ou à l’aval immédiat d’un ouvrage en faveur des espèces vivant dans le cours d’eau et de leur habitat et ne s’intéresse donc pas aux débits plus élevés pouvant être nécessaires afin de maintenir les différents usages anthropiques existants en aval de cet ouvrage.
2. Définitions
2.1. Le débit minimum biologique
Ce terme est consacré par l’usage et correspond à la notion définie par le premier paragraphe du I de l’article L. 214-18 du code de l’environnement : « débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux ». La détermination de ce débit minimum biologique doit faire l’objet d’une étude particulière analysant les incidences d’une réduction des valeurs de débit à l’aval de l’ouvrage sur les espèces vivant dans les eaux, et ce,
conformément au 3.1 de la présente annexe et à l’annexe 2.
2.2. Le débit plancher
Le débit plancher est défini au second paragraphe du I de l’article L. 214-18 du code de l’environnement. Il correspond à un minimum intangible servant de protection pour les milieux aquatiques. Il est exprimé en fraction de débit moyen interannuel naturel (module) et correspond au 10e ou 20e de celui-ci suivant les cas. Le 3.2 de la présente annexe précise les modalités de détermination de ce module.
2.3. Le débit réservé
Cette notion de « débit réservé » est consacrée elle aussi par l’usage et est souvent utilisée dans les titres régissant les ouvrages. Elle a une portée législative et réglementaire et désigne la valeur du débit telle qu’elle est fixée par le titre de l’ouvrage, en application a minima du I de l’article L. 214-18 du code de l’environnement ou des textes qui l’ont précédé, et donc la valeur du débit instantané qu’un ouvrage établi dans le lit d’un cours d’eau doit laisser transiter à son aval immédiat. Cette valeur de débit réservé doit correspondre à la plus forte valeur entre le débit minimum biologique et le débit plancher.
3. Modalités d’application
3.1. Détermination du débit minimum biologique prévu au I de l’article L. 214-18 du code de l’environnement
L’article L. 214-18 du code de l’environnement pose comme principe de base que le débit à maintenir dans le lit des cours d’eau par les propriétaires et/ou gestionnaires d’ouvrages doit remplir l’obligation de résultat, à savoir « garantir en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux ». À ce titre, il est entendu que le débit minimal est un débit instantané transitant dans le lit du cours d’eau.
Ce débit doit faire l’objet d’une étude spécifique à la charge du pétitionnaire, comprenant notamment la description du contexte environnemental, biologique, et les caractéristiques de l’ouvrage (cf. § 6 annexe 2).
Les méthodes d’aide à la détermination de débits minimum dans les cours d’eau sont nombreuses et parfois utilisées depuis plus de trente ans à travers le monde.
Elles peuvent être classés en trois grandes catégories :
- les méthodes dites « hydrologiques » basées uniquement sur l’analyse des chroniques de débits ;
- les méthodes dites « hydrauliques » basées sur la relation entre les paramètres hydrauliques, la morphologie du cours d’eau et la valeur de débit minimum ;
- les méthodes dites « d’habitat » qui croisent l’évolution des caractéristiques hydrauliques avec les préférences biologiques d’espèces.
Ces trois catégories de méthodes ne s’excluent pas mutuellement et peuvent être utilisées en combinaison.
La méthode des micro-habitats est actuellement la méthode « d’habitat » la plus employée. Elle couple un modèle hydraulique du tronçon à la connaissance des exigences écologiques des organismes pour leur habitat physique (vitesse, hauteur d’eau, et nature du fond) afin d’estimer des surfaces d’habitats hydrauliques à différents débits. Les valeurs d’habitat et leurs variations sont estimées pour différents taxons (généralement espèces ou groupes d’espèces de poissons en
routine, avec des ajouts à venir pour les macro-invertébrés) à différents stades de développement (alevin, juvénile et adulte).
L’application de cette méthode nécessite des choix d’expert à différents niveaux :
- pour le choix des espèces cibles et des stades de développement de ces espèces à prendre en compte ;
- pour le choix du ou des modèles biologiques de préférence appropriés ;
- pour l’interprétation des simulations qui doivent notamment être replacées dans le contexte hydrologique et morphologique du tronçon de cours d’eau concerné ;
- pour comparer des scénarios de débits ou régimes réservés.
Ces choix sont donc à faire par le pétitionnaire ou son prestataire, et doivent être explicitement exposés pour que le service instructeur puisse en apprécier le bien-fondé.
Cette méthode étant adaptée à la majorité des rivières hébergeant des espèces sensibles aux conditions hydrauliques (salmonidés, cyprinidés d’eau vives), les résultats obtenus avec celle-ci ne peuvent être écartés sans démonstration que le tronçon de cours d’eau concerné ne se prête pas à sa mise en oeuvre.
Des éléments complémentaires sont portés dans l’annexe 2 relative aux « méthodes d’aide à la détermination des valeurs de débit minimum biologique ».
L’étude de débit minimum biologique présentée par le pétitionnaire doit :
- mentionner la ou les méthode(s) utilisée(s) pour la détermination de ce débit minimum biologique ;
- inclure une justification de la prise en compte des paramètres de contexte, dont la liste précisée au point 6 de l’annexe 2 ne prétend pas être exhaustive ;
- comprendre la fourniture des modèles de types micro-habitats, si cette méthode est utilisée.
Les services instructeurs peuvent consulter l’ONEMA dès la phase de détermination du débit minimal afin de juger au mieux des choix d’expert, de la qualité de l’étude présentée et de la validité du débit minimal proposé par le pétitionnaire in fine. Les services s’attacheront aux motivations accompagnant l’avis de l’ONEMA.
Le débit minimal à maintenir au droit ou à l’aval immédiat d’un ouvrage doit garantir en permanence la vie mais aussi la circulation des espèces vivant dans le cours d’eau. Il doit donc tenir compte du débit éventuellement nécessaire à la circulation de ces espèces, défini sur la base des critères :
- de hauteur d’eau minimale dans les habitats peu profonds du tronçon en débit réservé et au regard des obstacles naturels potentiellement présents (TCC, aval d’un ouvrage de stockage) ;
- de rapport de débit entre les différents écoulements présents (rejets d’usine, barrage, ouvrage de franchissement, débit d’attrait...) ;
- de fonctionnement des ouvrages de franchissement piscicole que ce soit pour la montaison et/ou pour la dévalaison.
En tout état de cause, les valeurs de débit réservé adoptées antérieurement pour des ouvrages existants sur un cours d’eau ne sauraient justifier à elles seules la fixation d’une valeur de débit identique pour un ouvrage projeté sur ce même cours d’eau.
Les échanges, entre le pétitionnaire et le service instructeur, dont l’importance est signalée, lors des différentes phases d’élaboration du débit minimum biologique, pour la fixation in fine de celui-ci prendront en compte également la dimension économique et le phasage des travaux.
Les exigences et le niveau de détail de l’analyse conduisant à la détermination du débit minimum biologique et, le cas échéant, des travaux nécessaires doivent être proportionnés en fonction des enjeux écologiques présents et des impacts de l’ouvrage sur le cours d’eau.
Les méthodes d’aide à la détermination de débits minimum étant liées aux avancées scientifiques ont un caractère évolutif. Il conviendra, à échéance régulière, de procéder au partage des connaissances afin de veiller au maintient de l’homogénéité des études de détermination de débit minimum biologique présentées.
En application de ce principe, pour les petits aménagements hydroélectriques (puissance inférieure à 4,5 MW), existant ou à venir, les pétitionnaires pourront se référer utilement au « guide pour le développement de petites centrales hydroélectriques dans le respect des milieux naturels », produit par France Hydro-Électricité.
3.2. Calcul du module naturel du cours d’eau
L’article L. 214-18 du code de l’environnement mentionne en son I la notion de module ou débit moyen interannuel. Ce débit correspond à la moyenne des débits annuels au point considéré d’un cours d’eau, et est couramment exprimé en m3/s. Les valeurs à prendre en compte sont celles du débit qui devrait s’écouler naturellement dans le cours d’eau, en l’absence d’impact de toutes les activités humaines (prélèvements, transfert de bassins versants, restitution, dérivations...).
Le calcul du module, produit par le pétitionnaire, doit, en application de la loi, être effectué à partir de l’ensemble des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années ; toutefois toutes les données disponibles sur une période supérieure à cette durée doivent être exploitées. La donnée publique (banque hydro, calculs DREAL) est utilisée prioritairement et peut être complétée utilement par les données de l’exploitant. S’agissant d’une valeur statistique, sa précision augmente avec le nombre d’années d’observations, à condition qu’il n’y ait pas eu de changements d’usages majeurs durant la chronique utilisée.
Chaque fois que le calcul direct s’avère impossible, notamment en raison de la brièveté de la chronique exploitable, de l’absence de données, de données trop influencées ou d’un grand nombre d’années hydrologiques jugées non caractéristiques, après avis de l’autorité administrative, l’estimation du module ou débit moyen interannuel doit être réalisée selon des méthodes telles que :
- extrapolation ;
- corrélation avec un bassin versant de géologie et climatologie voisin ;
- relation pluie-débit.
En tout état de cause, les données hydrologiques doivent être privilégiées par rapport aux méthodes d’estimation n’utilisant pas de données observées.
Le pétitionnaire doit fournir tous les éléments justifiant la méthode retenue, les résultats obtenus (éléments morphologiques, données géologiques, données pluviométriques...), mais également les incertitudes accompagnant le calcul du module, comme les renseignements sur l’homogénéité de la chronique utilisée, permettant aux services de réaliser une analyse critique de ce calcul du module.
Pour un ouvrage à construire ou en renouvellement, en présence d’incertitudes trop grandes sur la détermination du module et d’enjeux écologiques, les services peuvent demander que le site envisagé soit équipé d’un dispositif de mesures de débit en continu in situ, durant la phase de préinstruction du dossier. Ces mesures de débit in situ constituent un élément d’appréciation supplémentaire, si les modalités en sont jugées techniquement recevables par l’administration (y compris au regard de la longueur de la chronique).
Il appartient aux services d’examiner les propositions des pétitionnaires ou exploitants d’ouvrages en matière de module interannuel. Pour ce faire, les services peuvent se référer au « Guide méthodologique en vue de l’estimation du module » présent en annexe 3. La décision finale sur la valeur du module à prendre en compte revient légitimement à l’autorité administrative.
Au regard des valeurs plancher définies ci-après, la détermination du module naturel du cours d’eau au droit de l’ouvrage permet ainsi à l’autorité administrative de s’assurer que la valeur de débit réservé proposé par le pétitionnaire dans l’étude particulière de détermination du débit minimum biologique satisfait bien aux exigences de la loi.
3.3. Les notions de débit plancher
3.3.1. Le 10e du module naturel
L’article L. 214-18 du code de l’environnement prévoit que le débit minimal à maintenir dans le lit du cours d’eau « ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d’eau en aval immédiat ou au droit de l’ouvrage ».
Cette valeur de débit plancher a été fixée réglementairement dès 1984 au 10e du module interannuel naturel du cours d’eau à la suite de nombreuses études et expérimentations (1). Celles-ci ont montré qu’au-dessous de cette valeur les conditions d’habitat hydrauliques, et notamment la surface en eau en fonction du débit, sont généralement dégradées, et n’assurent plus le maintien d’un écosystème suffisamment fonctionnel.
Les conclusions de cette étude tirent leur fondement biologique et scientifique du fait que les modules qui ont été calculés correspondent à une situation hydrologique naturelle. La valeur plancher réglementaire du 10e n’a de sens que si elle conserve cette réalité biologique, s’appuyant sur un module non influencé par des prélèvements anthropiques.
Cette valeur plancher doit donc être calculée sur le module naturel du cours d’eau ou sur le module reconstitué dans le cas de secteur de cours d’eau à l’hydrologie fortement perturbée par des prélèvements.
Il convient de souligner que la valeur du 10e est fréquemment inférieure à la valeur du débit moyen mensuel sec de récurrence (valeur de référence d’étiage retenue par le code de l’environnement en son article R. 214-1).
(1) Tennant, DL, 1975. « Instream flow Regiments for Fish, Wildlife, Recreation and Related Environmental Resources. US », Fish and Wildlife Service, Billings, Mont.
Cette valeur de débit plancher doit donc être comprise, pour le cas général, comme un choix du législateur de garantir un minimum intangible servant de protection pour les milieux aquatiques.
L’autorité administrative s’assurera, en se référant aux 3.1 et 3.2 de la présente annexe, pour les cas où cette valeur plancher sera proposée comme débit réservé, que celle-ci garantit bien « en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux ».
3.3.2. Le 20e du module naturel
Une seconde valeur plancher spécifique est introduite à l’article L. 214-18 du code de l’environnement, qui précise que pour « les cours d’eau ou partie de cours d’eau dont le module est supérieur à 80 m3/s, ou pour les ouvrages qui contribuent, par leur capacité de modulation, à la production d’électricité en période de pointe de la consommation », la valeur du débit réservé ne doit pas être inférieure au 1/20e du module, toujours sous réserve du principe général de « garantir en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux ».
Les ouvrages dits « de pointe » sont listés dans l’article R. 214-111-3 du code de l’environnement, et correspondent aux prises d’eau concourant à l’alimentation en eau des usines hydroélectriques métropolitaines d’une puissance installée supérieure à 20 MW dont la valeur du débit réservé n’a pas encore été fixée à une valeur supérieure au 20e. Pour les ouvrages des territoires insulaires (Corse et La Réunion), aucun seuil de puissance n’a été retenu, compte tenu de la taille très réduite des réseaux électriques et de l’absence d’interconnexion.
Ainsi, il revient aux pétitionnaires de proposer des débits réservés assurant au mieux la préservation et la protection des écosystèmes aquatiques tout en permettant d’assurer les besoins d’alimentation en eau des ouvrages de pointe. Ces débits réservés doivent être déterminés prise d’eau par prise d’eau, sur la base d’une étude particulière comprenant une analyse de :
- l’impact sur les écosystèmes aquatiques pour le tronçon de cours d’eau considéré se référant au 3.1 de la présente annexe ;
- la contribution de la prise d’eau à la couverture de la capacité de pointe de l’usine à laquelle elle est rattachée.
3.4. Cours d’eau ou section de cours d’eau présentant un fonctionnement atypique
L’article L. 214-18 du code de l’environnement mentionne en son I que pour « les cours d’eau ou sections de cours d’eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d’un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure ».
A la différence de l’usage en hydraulique ou hydromorphologie, où le terme de section de cours d’eau désigne généralement un profil en travers du cours d’eau, ce terme est ici à interpréter en tant que portion ou tronçon de cours d’eau.
C’est au seul regard du débit plancher que la définition d’un cours d’eau ou d’une section de cours d’eau présentant un fonctionnement atypique rend non pertinente la fixation habituelle du débit réservé. En revanche, elle ne dispense pas de l’obligation de garantir en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux, ni du recours à une étude spécifique de détermination du débit minimum biologique.
La définition du fonctionnement atypique mentionné au 1° et 3° de l’article R. 214-111 du code de l’environnement doit être établie par tronçon de cours d’eau homogène, quant à ses caractéristiques hydrologiques, hydrauliques, géomorphologiques et biologiques. Ainsi le fonctionnement atypique d’une portion de cours d’eau ne peut amener la définition automatique de tout le cours d’eau en fonctionnement atypique.
La valeur du débit réservé à fixer pour les cours d’eau ou sections de cours d’eau au fonctionnement atypique doit rester compatible avec les objectifs environnementaux imposés par le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). En outre, la valeur de ce débit réservé devra respecter les intérêts visés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement.
L’article R. 214-111 du code de l’environnement définit la notion de cours d’eau ou section de cours d’eau présentant un fonctionnement atypique en distinguant trois cas.
3.4.1. Cas n° 1 : « Son lit mineur présente des caractéristiques géologiques qui sont à l’origine de la disparition d’une part importante des écoulements naturels à certaines périodes de l’année. »
Au sens du 1°, il faut comprendre que la section de cours d’eau pouvant être définie comme atypique correspond à une portion de cours d’eau se caractérisant par des formations géologiques pouvant conduire à des disparitions importantes naturelles de débit. On peut communément y inclure les formations karstiques, les réseaux de failles et diaclases, qui sont des caractéristiques géologiques liées à la nature du substratum sous-jacent au cours d’eau et ou à sa modification par
des phénomènes tectoniques. De même, la disparition d’une part importante de débit dans des écoulements sous-jacents non visibles, au travers des formations alluvionnaires de surface, perméables et de forte épaisseur dues à un héritage hydromorphologique, peut également conduire à une définition de la portion de cours d’eau concernée en fonctionnement atypique. Il appartient au pétitionnaire de démontrer à l’autorité administrative que le tronçon de cours d’eau homogène candidat au fonctionnement atypique se situe bien sur de telles formations géologiques, et qu’elles expliquent la disparition d’une part importante des écoulements leur incombe.
C’est au regard des écoulements naturels que la définition du fonctionnement atypique doit se baser. La disparition importante du débit du cours d’eau qui serait liée à des prélèvements amont ou à l’insuffisance d’un débit réservé délivré par un ouvrage existant à l’amont du tronçon de cours d’eau ne peut conduire à caractériser ce tronçon comme atypique à ce titre.
Les cours d’eau temporaires qui s’assèchent naturellement à certaines périodes de l’année, sans lien avec la géologie sous jacente, ne sont pas au sens du 1o des cours d’eau atypiques : la disparition totale ou partielle des écoulements est dans ce cas liée à des caractéristiques hydrologiques et climatiques, et non géologiques.
La part importante de disparition du débit doit s’apprécier, sur la base d’une période représentative d’une année hydrologique normale, au regard de la part de débit subsistant en surface et de l’impact de cette disparition sur la biologie. Le caractère important de la disparition devra être évalué notamment par rapport à la capacité du débit subsistant à garantir la pérennité de la zone hyporhéique et des zones de réapparitions potentielles fonctionnant généralement comme « zones
refuges ».
Dans ce cas, la valeur de débit minimal à retenir doit permettre :
- de maintenir un écoulement hyporhéique suffisant ;
- de maintenir l’alimentation de zones humides éventuellement présentes ;
- de garantir l’intégrité biologique des « zones refuges » dans le tronçon candidat au fonctionnement atypique ;
- que les zones situées immédiatement en aval de la portion de cours d’eau en fonctionnement atypique, conservent un débit leur permettant de satisfaire les obligations de résultats du I de l’article L. 214-18 du code de l’environnement à savoir de « garantir en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux ».
La fixation d’un débit minimal dans les conditions prévues au I de l’article L. 214-18 du code de l’environnement n’étant plus pertinente, l’étude présentée par le pétitionnaire devra être spécifique et intégrer l’ensemble de ces paramètres comme précisé dans la « note méthodologique de caractérisation d’un cours d’eau atypique au sens du 1° de l’article R. 214-111 du code de l’environnement » présente en annexe 4.
3.4.2. Cas n° 2 : « Son aval immédiat, issu d’un barrage de classe A ou à usage hydroélectrique d’une puissance supérieure à vingt mégawatts, est noyé par le remous du plan d’eau d’un autre barrage de même nature. »
Pour l’application de ce cas, il convient en premier lieu que le pétitionnaire démontre la réalité de l’ennoiement par le remous du plan d’eau aval.
L’autorité administrative peut, pour certains ouvrages, appliquer une marge d’appréciation de l’ennoiement en fonction :
- du linéaire en écoulement potentiellement libre situé entre le pied du premier barrage et la queue de retenue du second ;
- des variations plus ou moins importantes de ce linéaire liées au marnage ;
- des périodes, durée et fréquences des conditions de gestion à l’origine de ce linéaire ;
- de l’absence d’enjeux écologiques sur le linéaire.
Le cas des barrages successifs conduit à traiter les débits transitant dans la chaîne selon des dispositions spécifiques. L’ouvrage le plus en aval restant soumis au cas général, il convient de veiller à ce que les dispositions spécifiques pour les zones ennoyées ne remettent pas en cause l’obligation principale de l’article L. 214-18 CE de maintien dans le lit du cours d’eau en tout temps d’« un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux ».
Le report de cette obligation à l’aval de la chaîne peut imposer la nécessité d’une coordination amont-aval. Toutefois, l’indépendance des concessionnaires hydroélectriques successifs, bien que théoriquement possible, est dans les faits assez rare. En effet, les chaînes d’aménagements sont aujourd’hui majoritairement concédées à un gestionnaire unique et l’autorité administrative a choisi préférentiellement le principe d’un renouvellement par chaîne. Dans le cas contraire, il conviendra de veiller à l’harmonisation de l’ensemble des règlements d’eau.
Dans ces zones ennoyées, le débit instantané ne constitue plus le critère le plus pertinent pour « garantir en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux ».
Il n’en reste pas moins nécessaire d’étudier quelles sont les autres conditions de gestion nécessaires au titre de l’obligation individuelle qui incombe à chaque ouvrage de garantir la circulation des espèces et la qualité du milieu.
Ainsi l’autorité administrative s’attache à ce que, pour chaque ouvrage, le débit réservé retenu et ses modalités de restitution garantissent :
- la qualité du milieu (physico-chimie, température, taux de renouvellement, prolifération alguale) ;
- le fonctionnement des dispositifs de franchissement existants ;
- la vie et la circulation des espèces dans le linéaire en écoulement potentiellement libre créé par le marnage en queue de retenue.
3.4.3. Cas n° 3 : « Les espèces énumérées à l’article R. 214-108 du code de l’environnement en sont absentes. »
L’article R. 214-108 du code de l’environnement liste les espèces devant être absentes pour justifier du fonctionnement atypique. L’absence simultanée et complète de ces espèces ne se rencontrant dans aucune eau superficielle, naturelle ou artificielle, il faut comprendre la volonté du législateur comme celle de désigner par ce cas d’atypicité les situations dans lesquelles les conditions biotiques sont particulièrement ténues. Ces situations sont caractérisées par l’absence d’ichtyofaune et une absence quasi complète des espèces suivantes :
- faune benthique invertébrée ;
- macrophytes ;
- phytoplanctons ;
- phytobenthos.
Les conditions naturelles pouvant conduire à l’absence d’espèces sont par exemple l’altitude, la présence de cascade, de chute importante ou de forte pente dans le tronçon considéré.
Il appartient au pétitionnaire, pour justifier du classement de la section de cours d’eau en atypique, de démontrer :
- l’absence des espèces listées ci-dessus par ordre d’importance, sur la base d’un inventaire
approprié ;
- que l’absence des espèces est un état de fait historique du cours d’eau lié à des paramètres naturels non influencés par des aménagements anthropiques, et ne peut être compensée par des opérations de renaturation.
L’autorité administrative peut, de plus, se référer aux connaissances existantes en cours d’eau (ONEMA, Fédération de pêche, conseils généraux, parcs nationaux...) mais également à celles liées à la directive Natura 2000 pour les espèces remarquables.
Une attention particulière est portée par l’autorité administrative sur :
- la qualité de l’inventaire démontrant cette absence ;
- sa représentativité dans le temps (intersaisons et interannuel) ;
- la longueur de la section à considérer ;
- l’analyse historique des données existantes démontrant l’absence des espèces.
La valeur de débit minimal peut alors être fixée à une valeur inférieure à la valeur plancher du 1/10e du module prévue au I de l’article L. 214-18 du code de l’environnement dans le respect de l’article R. 214-111 du code de l’environnement qui précise que : « Dans le cas prévu au 3°, la fixation d’un débit minimal inférieur est toutefois subordonnée à la condition que ce débit n’ait pas pour conséquence de détériorer l’état du cours d’eau non atypique situé immédiatement à l’aval. »
Il en va de même dans la mesure où le débit réservé (actuel ou à venir) conditionnerait le fonctionnement d’une zone humide située immédiatement en aval du tronçon atypique.
3.5. La possibilité de modulation autour du débit minimal
Le deuxièmement de l’article L. 214-18 du code de l’environnement introduit la possibilité de moduler la valeur du débit minimal, à condition de pouvoir en motiver l’application dans le cadre de la notice ou étude d’impact. Le débit minimal peut ainsi varier autour de sa valeur selon les périodes de l’année et le cycle de vie des espèces (reproduction, croissance, migration) par exemple, pour atteindre des valeurs supérieures à certaines périodes de l’année, et des valeurs inférieures à d’autres périodes, en fonction des besoins des populations vivant dans le cours d’eau.
C’est une certaine approche de la notion de « régime hydraulique réservé », qui prend en compte l’importance de la variabilité naturelle des débits dans le maintien de l’intégrité des écosystèmes aquatiques, tandis que la régulation des fluctuations de niveaux d’eau d’une rivière entraîne une perte de l’hétérogénéité spatiale et temporelle des habitats et, par conséquent, une perte de biodiversité.
Les actes d’autorisation et de concession peuvent donc fixer, sous réserve de toujours respecter un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces présentes dans le cours d’eau, des valeurs de débit réservé différentes selon les périodes de l’année.
Il conviendra de s’assurer que :
- la moyenne annuelle de ces valeurs ne soit pas inférieure aux débits minimaux fixés en application du I ;
- le débit le plus bas doit rester supérieur à la moitié des débits minimaux précités au I, soit 1/40e du module pour les ouvrages dont le plancher est le 1/20 du module, et 1/20 du module pour les autres.
Dans cette approche de régime hydrologique réservé, les variations de débit minimal peuvent recréer une saisonnalité des régimes hydrologiques permettant l’accomplissement du cycle biologique des espèces, comme le mentionne le 2 de l’article R. 214-111-1 du code de l’environnement tout en garantissant un usage normal de l’ouvrage, notamment dans le cas des exploitations mentionnées à l’article L. 431-6 du code de l’environnement.
Par ailleurs, le premièrement de l’article R. 214-111-1 permet des variations de débit dans le but de satisfaire des usages ou besoins périodiques, à condition de garantir « en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux ». Elles doivent donc être en adéquation avec la gamme de variations naturelles des débits du cours d’eau.
Cette disposition permet aux pétitionnaires et à l’autorité administrative de proposer des modulations des valeurs de débit minimal si celles-ci constituent, par rapport à une situation de débit minimal non modulé, une préservation ou une amélioration des milieux aquatiques et des usages de l’ouvrage.
Au-delà de ces modulations de débit minimal, les études de détermination de débit minimum biologique doivent prendre en compte l’importance écologique de l’ensemble des caractéristiques du régime hydrologique. Ces modulations peuvent donc permettre de maintenir la dynamique fluviale et les différentes phases des cycles de vie des organismes aquatiques qui en dépendent (besoins spécifiques temporaires pour la migration et la reproduction du saumon, par exemple), la capacité auto-épuratoire des cours d’eau à un niveau suffisant à l’étiage, des crues morphogènes et l’inondation des zones de reproductions (pour le brochet en hiver, par exemple).
3.6. La notion d’« étiage naturel exceptionnel »
Enfin le II de l’article L. 214-18 du code de l’environnement permet à l’autorité administrative de fixer exceptionnellement et de manière temporaire des débits réservés inférieurs au débit minimal prévu au I, lorsqu’un cours d’eau, ou une section de cours d’eau, est soumis à un étiage naturel exceptionnel, et pendant cette seule période. Ces étiages naturels exceptionnels doivent s’entendre comme ayant une période de retour au moins décennale.
Dans ces situations, les règles citées au I continuent de s’appliquer : si le débit à l’amont immédiat de l’ouvrage est inférieur au débit réservé, l’intégralité du débit amont de l’ouvrage doit être restituée en aval. De plus, comme le précise l’article R. 214-111-2, « ces débits temporaires doivent maintenir un écoulement en aval de l’ouvrage ».
Il convient d’éviter la mise en oeuvre répétée de ces dispositions qui pourrait avoir des conséquences importantes pour l’écosystème aquatique et sa capacité de régénération. À titre d’exemple, les cours d’eau des régions caractérisées par des régimes hydrologiques contrastés ayant des étiages naturels fréquemment prononcés ne pourront pas justifier l’application régulière de cette disposition.
3.7. La notion d’« aval immédiat ou au droit de l’ouvrage »
L’article L. 214-18 du code de l’environnement indique que le débit minimal à maintenir dans le lit du cours d’eau doit être délivré « en aval immédiat ou au droit de l’ouvrage ».
Cette notion intéresse les tronçons de cours d’eau court-circuités, quels que soient les usages associés à l’utilisation du débit dérivé.
L’autorité administrative peut appliquer une marge d’appréciation pour accepter un partage du débit minimal entre le point le plus amont de l’ouvrage et le point de restitution, en fonction :
- de la longueur entre le pied du barrage et le point de restitution ;
- du maintien du débit attractif permettant le franchissement du poisson au droit de l’ouvrage ;
- de la disposition en plan de l’ouvrage (oblique ou perpendiculaire au cours d’eau) ;
- d’absence d’impact lié au report de débit à la restitution à proximité immédiate de l’ouvrage par rapport au droit de l’ouvrage (absence d’impact sur les habitats et leurs fonctionnalités pour les espèces).
3.8. Dispositifs de restitution du débit minimal, contrôle et suivi
Lorsque l’obstruction ou l’endommagement du dispositif de restitution diminuent le débit minimal délivré, les difficultés de contrôle à distance de la part de l’exploitant, voire de difficultés d’accès aux prises d’eau (enneigement), peuvent conduire à des délais d’intervention de plusieurs jours. Le pétitionnaire doit alors mettre en oeuvre des solutions techniques ou organisationnelles réduisant les risques de dysfonctionnement de ces dispositifs, ainsi que les délais de détection et d’intervention en cas d’éventuel incident.
3.8.1. Dispositifs de restitution du débit minimal
Une obligation de résultat s’applique au gestionnaire qui doit garantir en permanence le maintien à l’aval de l’ouvrage le débit minimal prévu au I de l’article L. 214-18 du code de l’environnement.
Le III de l’article L. 214-18 du code de l’environnement précise par ailleurs que « l’exploitant de l’ouvrage est tenu d’assurer le fonctionnement et l’entretien des dispositifs garantissant » les débits minimaux fixés au I et II de cet article.
Le dispositif de restitution du débit réservé doit ainsi délivrer en permanence la valeur réglementaire fixée par l’autorité administrative. Il doit être adapté aux variations du niveau d’eau amont par rapport à la côte normale de retenue. Ce dispositif de restitution ne doit en aucun cas constituer un obstacle à l’écoulement. Pour ce faire, le gestionnaire doit mettre en oeuvre toutes les solutions techniques adaptées afin d’éviter son obstruction.
3.8.2. Contrôle du débit minimal
Le contrôle du débit minimal est indispensable pour veiller à la bonne application des dispositions de l’article L. 214-18 du code de l’environnement. La mise en place d’un dispositif de contrôle est le meilleur moyen d’assurer ce contrôle par l’autorité administrative. Ce dispositif peut être intégré au dispositif de restitution (échancrure, déversoir) ou distinct (bassin de mesure, venturi), mais ne doit pas non plus constituer un obstacle à l’écoulement.
Pour les ouvrages à construire et ouvrages existants dont l’autorisation ou la concession est renouvelée, l’autorité administrative imposera, dans le règlement d’eau ou le cahier des charges, la mise en place d’un dispositif de contrôle aux frais du pétitionnaire. L’autorité administrative proposera a minima au pétitionnaire la mise en place de repères visuels, sur des sections accessibles et fiables avec fournitures d’abaques, permettant un contrôle rapide par le permissionnaire et les agents de contrôle.
Les exceptions à l’installation de ce dispositif de contrôle devront être justifiées par des difficultés techniques de mise en place entraînant des coûts disproportionnés. Dans ce cas, l’exploitant devra proposer une solution alternative permettant le contrôle du respect du débit réservé.
Lorsqu’un dispositif de mesure in situ aura été installé lors de la phase de pré-instruction (cf. 3.2) afin de valider le module proposé, il conviendra que l’acte administratif prescrive la poursuite de l’exploitation des données sur une période minimale de cinq années.
Pour les ouvrages existants dont le règlement d’eau ou le cahier des charges impose d’ores et déjà un dispositif de contrôle, l’autorité administrative veillera à ce que les prescriptions concernant ce dispositif soient bien respectées. Dans le cas contraire, les services mettront en demeure les propriétaires/gestionnaires d’ouvrages de régulariser la situation dans un délai de dix mois.
Enfin, les services chargés de la police de l’eau devront établir un plan de contrôle des débits réservés sur les ouvrages concernés. Ce plan de contrôle ciblera en priorité les ouvrages existants dont le règlement d’eau ou le cahier des charges n’impose pas de dispositif de contrôle.
3.8.3. Suivi écologique du débit minimal
Lorsqu’elle fixe un débit réservé, l’autorité administrative peut imposer un suivi afin d’évaluer l’impact du nouveau débit minimal sur le milieu afin de le réajuster ultérieurement si nécessaire.
Cette prescription doit être motivée par les enjeux écologiques liés au cours d’eau et l’impact du barrage.
Ce suivi peut comporter des analyses physico-chimiques, des résultats d’échantillonnages biologiques (macro-invertébrés, poissons...), et un suivi hydromorphologique. Les compartiments à suivre par paramètre sont à sélectionner parmi ceux listés en annexe 5 relative aux « Éléments constitutifs du suivi écologique du débit minimal ». Les suivis doivent être proportionnés en fonction des enjeux écologiques présent et des impacts de l’ouvrage sur le cours d’eau. Ces suivis peuvent intégrer les données issues des suivis préexistants (suivi DCE, autres législations) si la localisation des stations de surveillance s’avère pertinente pour le suivi de l’incidence du nouveau débit réservé.
Annexe 2 : Les méthodes d'aide à la détermination de valeurs de débit minimum
Auteur : Philippe Baran
Fonction ou mission : ingénieur
Email : philippe.baran@onema.fr
Adresse : Pôle d’écohydraulique – IMFT, allée du Professeur-Camille-Soula, 31400 Toulouse
Droits d’usage : accès libre
Couverture géographique : nationale
Niveau de lecture : professionnels, experts
Nature de la ressource : document |
Synthèse
Les débits minimums biologiques doivent garantir la reproduction, la croissance et les déplacements des organismes aquatiques. Ces valeurs peuvent être différentes selon le contexte hydrologique, morphologique et biologique des masses d’eau ainsi que selon les enjeux écologiques (maintien des habitats et/ou de la continuité écologique).
La réduction des valeurs de débits minimums peut profondément modifier les communautés biologiques tant au niveau de leur croissance, leur survie que de leur déplacement et leur migration. De très nombreux travaux scientifiques ont mis en évidence des impacts importants principalement sur les communautés piscicoles (modification des structures de peuplement, réduction des abondances, changements dans les structures en âge). Ils dépendent de l’intensité des perturbations hydrauliques et morphologiques.
Il est donc nécessaire de disposer d’outils d’aide à la définition de ces valeurs minimales. Ces valeurs de débits devront garantir les habitats en aval des dérivations et/ou des prélèvements mais également la libre circulation des espèces dans les tronçons de rivières et au droit des ouvrages de prélèvement et dérivation d’eau.
Nous avons donc distingué les méthodes et les approches propres aux débits minimums et aux
habitats des tronçons aval des ouvrages et les approches propres à la libre circulation piscicoles.
Les outils disponibles pour les débits minimums et les habitats ont été développés depuis plus de trente ans dans de très nombreux pays.
1. Trois catégories de méthodes existent actuellement :
- les méthodes dites hydrologiques basées uniquement sur l’analyse des chroniques de débits ;
- les méthodes dites hydrauliques basées sur la relation entre les paramètres hydrauliques, la morphologie du cours d’eau et la valeur de débit minimum ;
- les méthodes dites d’habitat qui croise l’évolution des caractéristiques hydrauliques avec les préférences biologiques d’espèces, de stades de développement ou de groupes d’espèces.
Ces trois catégories de méthodes ne s’excluent pas mutuellement.
Elles doivent être utilisées en combinaison.
2. Les méthodes hydrologiques fixent des valeurs seuils en se basant soit sur les courbes de débits classés (Q99, Q97.5, Q95 ou le Q90), soit sur des valeurs moyennes de débits associées à des durées (VCN7 de retour dix ans), soit sur le pourcentage d’une valeur caractéristique du régime hydrologique (30 à 75 % des débits moyens minimum mensuels de retour cinq ans ; 2,5 à 50 % de débit moyen interannuel).
L’analyse des étiages de 74 régimes hydrologiques peu perturbés montre que les étiages des cours d’eau de moyenne et haute montagne sont très souvent supérieurs au 1/10 du module. Seuls 21,6 % des sites présentent des débits d’étiage mensuels de retour cinq ans inférieurs au 1/10 du module et cette valeur tombe à 5,4 % pour les moyennes interannuelles (QMNA). Ces résultats sont très variables en fonction des régions avec des étiages sévères (< 10 % du module) pour les rivières méditerranéennes, des étiages marqués (proche de 10 % du module) pour les rivières de Bretagne, du sud de la Normandie, du Massif central (bassin de la Dordogne) et du Jura, des étiages modérés (15 % du module) pour les Vosges et l’est du Massif central et enfin des étiages soutenus (> 20 % du module) pour les Alpes et les Pyrénées.
3. Les méthodes hydrauliques s’appuient essentiellement sur la relation entre la surface mouillée et la valeur de débit. Cette relation dépend de la morphologie du cours d’eau avec toutefois trois plages de débit :
- une plage de débit pour laquelle la surface mouillée diminue très significativement ;
- une plage de débit où la surface mouillée évolue peu ;
- une plage de débit correspondant au basculement entre les deux précédentes.
Le choix des débits minimums doit s’effectuer au sein de cette dernière plage.
Globalement, l’application des méthodes hydrauliques montre que la plage de débit à partir de laquelle les conditions hydrauliques et la surface mouillée évoluent très nettement se situe très souvent entre 15 et 35 % du module.
4. Les méthodes d’habitat se sont développées à partir des années 1970 aux USA et 1980 en France. La plus connue d’entre elles en France est la méthode des microhabitats (Instream Flow Incremental Methodology (IFIM) aux USA).
Ces méthodes font plusieurs postulats :
- la majorité des organismes aquatiques d’eaux courantes présentent des préférences marquées pour les conditions hydrauliques (vitesse et hauteur d’eau) ainsi souvent que pour les substrats ;
- les modifications de ces conditions hydrauliques en fonction des valeurs de débits affecteront donc les organismes aquatiques dans leur distribution, leur comportement et leur croissance.
En connaissant l’évolution des conditions hydrauliques dans un tronçon de cours d’eau en fonction du débit ainsi que les préférences des espèces présentes, il est donc possible d’établir une relation entre un potentiel d’accueil pour les espèces et la valeur de débit et ainsi d’effectuer un choix. En France, trois approches ont été développées :
- la méthode EVHA (évaluation de l’habitat), qui repose sur la caractérisation hydraulique et topographique
d’une station et l’utilisation d’un modèle hydraulique pour calculer les différentes valeurs de vitesse et de hauteur d’eau à plusieurs débits ;
- la méthode LAMMI (logiciel d’application de la méthode des microhabitats) qui mesure directement les conditions de hauteurs d’eau et de vitesses à différents débits ;
- la méthode ESTIMHAB qui est en fait une modélisation des résultats de la méthode EVHA. L’évolution des surfaces d’habitat disponibles en fonction du débit a été directement reliée à la géométrie du lit, aux grandeurs hydrauliques que sont le nombre de Froude et le nombre de Reynolds et à la valeur de débit médian du cours d’eau. On retrouve dans cette approche les principes des relations entre hydrauliques, surface mouillée et géométrie du cours d’eau qui dépend elle-même de l’hydrologie.
Les résultats issus de ces méthodes sont très sensibles :
- à la représentativité des sites de mesures et à leur caractéristique topographique. Les outils EVHA et ESTIMHAB ont été surtout développés pour les cours d’eau de pente < 5 % ;
- au choix des modèles biologiques utilisés ;
- à la situation morphologique du cours d’eau. Dans des situations hydrologiques et morphologiques modifiés (tronçon dérivé, par exemple), la réponse des habitats au débit sera calée sur le module effectif du cours d’eau et non pas sur le module naturel.
Leur utilisation doit donc préalablement reposer sur un choix de cible biologique précise tant en matière d’espèce que de stade de développement. Il est nécessaire de privilégier les espèces sensibles aux conditions hydrauliques telles que les salmonidés et les cyprinidés d’eaux vives ainsi que les stades adultes et/ou la reproduction.
5. La définition d’une valeur de débit minimum pour garantir les habitats dans un tronçon de rivière doit croiser l’ensemble des méthodologies dans une approche hiérarchique qui progresse par étape successive et qui n’oriente pas systématiquement vers les méthodes d’habitat les plus sophistiquées.
Elle s’appuiera sur une très bonne connaissance :
- de la situation écologique du tronçon de cours d’eau (espèces et les stades de développement réellement sensibles à la réduction des débits) ;
- de l’emprise de l’installation qui définira le niveau d’impact potentiel (longueur du tronçon courtcircuité, débit d’équipement, hauteur de l’ouvrage rapportée à la pente du cours d’eau...) ;
- de l’ensemble des modifications hydrologiques apportées par le projet (valeurs de débit minimum, débits de crues, amplitudes et gradients de variations) ;
- des modifications morphologiques du tronçon déjà impacté dans le cas d’un aménagement existant (travailler en complément sur un site témoin si ces modifications sont importantes) ;
- des enjeux vis-à-vis de la continuité écologique afin de baser les valeurs de débit favorisant l’attractivité des dispositifs de franchissement en montaison et en dévalaison.
1. Contexte et problématique
La fixation de valeurs de débit minimum dans les cours d’eau constitue une mesure correctrice importante pour garantir le fonctionnement des écosystèmes soumis à des pressions de prélèvementet/ou de dérivation d’eau. La loi sur l’eau dans son article L. 214-18 a fixé les conditions réglementaires permettant de définir des valeurs de débit minimum dans les cours d’eau soumis à des activités influençant les volumes d’eau écoulés dans un tronçon de rivière.
Ces valeurs ont pour objectif de garantir a minima l’intégrité du cours d’eau soumis à de fortes pressions d’usage de l’eau. La forte variabilité des enjeux environnementaux à l’échelle du territoire national, la diversité des contextes hydrologiques ainsi que des usages doit amener à proposer des outils et des démarches permettant selon les situations de proposer des valeurs de débit minimal adaptées à chaque situation.
Ces valeurs minimales constitueront le débit réservé (débit réglementaire délivré au droit des ouvrages) et seront en fait composées :
- d’un débit minimum garantissant la vie, la reproduction et la circulation des poissons dans le tronçon court-circuité lorsque celui-ci existe ;
- d’un débit minimum assurant le fonctionnement des dispositifs de montaison qu’il soit situé au droit du barrage et/ou de l’usine ;
- d’un débit minimum permettant l’évacuation des poissons en amont des ouvrages (barrage, usine).
Depuis la loi pêche de 1984 et avec les renouvellements des concessions et autorisations de nombreux ouvrages, différents outils et méthodes ont été proposés et utilisés pour aider à la définition de débit minimum biologique.
La mise en oeuvre du nouveau cadre réglementaire réclame de faire un bilan des différentes méthodes disponibles dans le domaine ainsi que de présenter des éléments de réflexion sur les démarches à adopter en fonction des différents contextes et des enjeux. Cette démarche est d’autant plus importante que les méthodes disponibles mettent l’accent sur l’un des enjeux à savoir le maintien des habitats dans le tronçon court-circuité et qu’il convient d’y ajouter les enjeux associés à la continuité écologique.
Le pôle d’écohydraulique, régulièrement sollicité pour l’appui technique dans le domaine de l’application des méthodes d’aide à la fixation de des débits minimums ainsi que dans celui des ouvrages dédiés et donc des débits à la libre circulation a proposé de réaliser une note technique sur ce thème.
La présente note a pour objectifs :
- de rappeler le rôle des débits minimums dans le fonctionnement des écosystèmes aquatiques et les impacts induits par les altérations de ces valeurs de bas débits ;
- de présenter et d’analyser les méthodes disponibles pour l’aide à la fixation de valeurs seuils ;
- de proposer une démarche hiérarchique permettant d’adapter le choix et la mise en oeuvre des méthodes aux contextes et aux enjeux.
2. Débit minimum et fonctionnement des eaux courantes
2.1. Régimes hydrologiques et fonctionnement des eaux courantes
Le débit constitue la variable clé du fonctionnement des cours d’eau. Les régimes hydrologiques vont conditionner la morphologie de la rivière, les habitats et la biologie. C’est l’ensemble des caractéristiques des régimes qui interviennent :
- les volumes écoulés à différentes échelles de temps (journalière, saisonnière, annuelle) ;
- les fréquences auxquelles certaines valeurs de débits particulières sont observées ;
- les durées de certaines valeurs de débits (périodes durant lesquelles le débit dépasse ou est inférieur à une valeur seuil donnée) ;
- la prévisibilité des événements (régularité avec laquelle certains épisodes hydrologiques reviennent).
Si les fortes valeurs de débits conditionnent beaucoup la morphologie et le renouvellement des habitats, les bas débits peuvent fortement influencer les organismes aquatiques en terme notamment de capacité de survie. Le maintien de valeurs minimales est donc essentiel pour garantir l’état écologique des masses d’eau.
2.2. Rôles des bas débits dans le fonctionnement des cours d’eau
Les valeurs de faibles débits vont conditionner :
- la situation morphologique du cours d’eau en terme de surface en eau ;
- les conditions hydrauliques (hauteurs d’eau et vitesses d’écoulement) ;
- les conditions physico-chimiques, principalement la température et l’oxygène dissous.
Ces caractéristiques vont directement influencer :
- l’habitat des espèces en quantité et en qualité ;
- les possibilités de déplacement et de migration des espèces (continuité écologique) ;
- les capacités de dilution de rejets.
La valeur de débit minimum doit donc être analysée au travers de ces trois critères (habitat, continuité écologique, qualité des eaux).
2.3. Altérations des régimes hydrologiques et incidences sur les eaux courantes
2.3.1. Caractérisation des altérations hydrologiques liées à un prélèvement-restitution
Les prélèvements d’eau en rivière vont modifier plusieurs des caractéristiques des régimes hydrologiques.
Par rapport à des situations d’étiage non influencées sur des cours d’eau présentant un potentiel pour la production hydroélectrique, les débits réservés au 1/40 du module représentent globalement des diminutions de 75 à 90 % des valeurs caractéristiques des étiages (QMNA, VCN10, Q90, Q95) tandis que le 1/10 du module représente une valeur de 17 à 60 % inférieure aux situations naturelles.
Cette valeur correspond à des débits rencontrés en moyenne moins de 1 % du temps dans des régimes naturels de cours d’eau de basse à haute montagne.
Les rapports entre les débits minimaux et maximaux lors de certains événements (crues, déversements aux barrages de prise d’eau) vont également être plus forts qu’en régime naturel ceci en fonction du débit prélevé (débit d’équipement de l’installation dans le cas de l’hydroélectricité) et de l’importance de l’événement hydrologique de crue.
Dans des cours d’eau de moyenne et haute montagne, pour des crues de 2 à 6 fois le module, le rapport (débit max./débit min.) passe de valeurs variant entre 4 et 20 à des valeurs de 25 à plus de 100.
La prévisibilité des événements hydrologiques est également modifiée, notamment en termes de bas débit. Alors qu’en régime naturel, les situations d’étiage reviennent globalement aux mêmes périodes (été ou hiver), en situation de débit dérivé, les périodes de faible débit interviendront à différentes
saisons.
2.3.2. Incidences de la réduction des débits sur le fonctionnement des écosystèmes
Les modifications des régimes hydrologiques par des activités de prélèvements, de stockage et/ou de restitution peuvent avoir de nombreuses incidences sur le fonctionnement biologique des cours d’eau. Dans la présente note, nous ne nous intéresserons qu’aux impacts induits directement ou indirectement par la réduction des valeurs de bas débits.
2.3.2.1. Les incidences morphologiques, hydrauliques et sur les habitats La réduction des valeurs de bas débits conduit à des modifications des conditions hydrauliques (10 à 90 % de réduction de la hauteur d’eau et des vitesses) et des pertes de surfaces mouillées proportionnelles à la valeur de débit (respectivement 25 % et 75 % en moyenne pour des débits réservés proches du 1/10 et du 1/40 du module dans des rivières de montagne).
2.3.2.2. Les incidences biologiques
2.3.2.2.1. Sur la végétation
Les réductions de valeur de débits sur des périodes assez longues se traduisent par des développements de macrophytes plus accentués surtout lorsqu’en plus des étiages, les débits de crue sont également très réduits. Les développements de périlython sont souvent plus importants dans les tronçons à débit réduits ceci en raison des changements dans les communautés d’invertébrés qui modifie les cycles de la matière organique.
2.3.2.2.2. Sur la faune d’invertébrés
Les faunes d’invertébrés sont surtout modifiées dans leur structure et dans les équilibres entre les différents groupes fonctionnels en regard de leur aptitude à dégrader la matière organique. Les taxons à très fort degré de rhéophilie peuvent également être pénalisés. Les changements quantitatifs sont en revanche moins marqués.
2.3.2.2.3. Sur les poissons
La grande majorité des travaux sur les incidences des réductions de débits ont conclu à de fortes modifications qualitatives et quantitatives dans les communautés piscicoles. Dans des peuplements monospécifiques de truites, les abondances sont réduites de 10 à plus de 80 % selon la valeur de débit réservé (Shirvell, 1979 ; Baran et al., 1995 ; Demars, 1985). Dans les zones moins apicales, les peuplements évoluent vers une dominante d’espèces et d’individus de petites tailles au détriment des espèces et individus de grande taille (Reijol ; 2002 ; Ovidio et al., 2008). Les caractéristiques biologiques telles que la croissance peuvent également être modifiées (Lagarrigue, 2000).
3. Les méthodologies d’aide à la fixation de débit minimum
Dans ce chapitre, nous aborderons les débits minimums nécessaires au maintien des habitats de croissance et de reproduction des espèces dans les tronçons court-circuités.
Les méthodes d’aide à la détermination de débits minimum dans les cours d’eau ont surtout été développées au cours des quarante dernières années. Ces différents outils peuvent être classés en trois grandes catégories :
- les méthodes dites hydrologiques basées uniquement sur l’analyse des chroniques de débits ;
- les méthodes dites hydrauliques basées sur la relation entre les paramètres hydrauliques, la morphologie du cours d’eau et la valeur de débit minimum ;
- les méthodes dites d’habitat qui croisent l’évolution des caractéristiques hydrauliques avec les préférences biologiques d’espèces, de stades de développement ou de groupes d’espèces.
A ces trois groupes, il faut ajouter les méthodes dont l’objectif n’est pas uniquement de fixer des valeurs de débit minimum mais d’aider à la définition de régimes hydrologiques. Elles reposent sur la prise en compte de l’ensemble du fonctionnement des écosystèmes d’eaux courantes en tenant des besoins des tous les compartiments. Ces méthodes développées au cours des quinze dernières années sont appelées méthodes holistiques. Nous ne les décrirons pas dans cette note car les termes de la loi ne définissent qu’une seule exigence de valeur minimum ou, éventuellement, une modulation et pas un ensemble de caractéristiques du régime hydrologique.
Il existe également un ensemble de méthodes qui croisent les informations des trois catégories précédemment citées.
3.1. Les méthodes hydrologiques
3.1.1. Principes
Ces méthodes ont été les premières à être mises au point. Elles sont utilisées dans de nombreux pays (25 % des usages aux USA, 40 % au Canada ou en Grande-Bretagne, plus de 50 % en Espagne ou au Portugal [Tharme, 2003]). Elles reposent toutes sur l’analyse du cycle hydrologique naturel et plus particulièrement sur les valeurs caractéristiques des conditions d’étiage.
Elles font le postulat du rôle clé de l’hydrologie et plus particulièrement des bas débits dans le fonctionnement des cours d’eau et sur la nécessité de maintenir un certain niveau de débit proportionnel à la situation naturelle afin de garantir un niveau minimum de perturbations.
3.1.2. Descriptions
Les différentes méthodes hydrologiques se classent en trois catégories selon le type de données de débit qu’elles utilisent.
- les méthodes s’appuyant sur les courbes de débits classés.
Ces méthodes se basent sur la courbe des débits classés du cours d’eau et définissent des valeurs seuils pour fixer le débit minimum. On retrouve de nombreuses valeurs parmi lesquelles :
- le Q99, Q97.5, Q95 ou le Q90 qui retiennent les valeurs de débits dépassées pendant 99 %, 97,5 %, 95 % ou 90 % du temps dans l’année ;
- les méthodes s’appuyant sur des valeurs moyennes de débits associées à des durées.
Ces méthodes utilisent les valeurs moyennes de débits pendant des périodes de temps donné.
Elles correspondent aux VCN. Au Brésil, en Amérique du Nord ou en Italie, c’est la valeur du débit moyen sur sept jours consécutifs avec une probabilité de n’être dépassée qu’une fois tous les dix ans qui est utilisée.
- les méthodes s’appuyant sur le pourcentage d’une valeur caractéristique du régime hydrologique :
- valeurs caractéristiques des étiages : 30-75 % des débits moyens minimum mensuels de retour cinq ans (Nouvelle-Zélande) ;
- valeurs de débit moyen interannuel : de 2,5 à 50 % selon les pays et les régions.
L’ensemble de ces méthodes demande une bonne connaissance de l’hydrologie naturelle du cours d’eau sur une période de temps relativement longue afin de fournir des valeurs statistiques fiables.
Ces méthodes ne reposent pas directement sur des validations biologiques. Aucune étude permettant de relier un état écologique d’un cours d’eau avec une valeur caractéristique des étiages n’est en effet disponible. Seule les travaux de Tennant sur les cours d’eau du Montana ont permis de fournir une base sur la relation entre débit minimum exprimé en pourcentage du module et situation morphologique et biologique du cours d’eau.
3.1.3. Exemples de résultats
Afin de fournir des éléments guides concernant les méthodes hydrologiques, nous avons analysé les régimes hydrologiques de 74 stations de la banque HYDRO représentant différents types de régimes hydrologiques dans différentes régions.
Nous avons ainsi extrait les valeurs caractéristiques des étiages (QMNA ; QMNA5, VCN3 et VNC10) ainsi que celles utilisées dans un certain nombre de méthodes (Q90, Q95, Q99).
Moyennes des caractéristiques d’étiage et des valeurs utilisées dans certaines méthodes hydrologiques exprimées en % du module
Les valeurs moyennes et médianes caractérisant les étiages sur les 74 stations étudiées sont toujours supérieures au 1/10 du module à l’exception des valeurs du Q364 qui correspond au débit minimal journalier rencontré 1 jour par an et du VCN7 de retour dix ans. Pour plus de 75 % des sites, les valeurs sont proches ou supérieures au 1/10 du module pour quasiment toutes les variables étudiées.
En termes de débits mensuels, seuls 21,6 % des sites présentent des débits d’étiage mensuels de retour cinq ans inférieurs au 1/10 du module et cette valeur tombe à 5,4 % pour les moyennes interannuelles (QMNA). Le 1/10 du module représente 65 % du QMNA5 et 50 % du QMNA pour plus de la moitié des sites.
Les moyennes des valeurs d’étiage sur trois jours consécutifs sont inférieures à 10 % du module dans 30 % des sites. En terme de débits classés, le 1/10 du module ne correspond au débit dépassé 90 % du temps que pour seulement 7 % des stations retenues.
Valeurs caractéristiques des débits d’étiages pour les 74 stations étudiées
Les débits caractéristiques d’étiage inférieurs à 10 % du module ne sont pas des situations très fréquentes ni dans le temps ni à l’échelle du territoire français.
Valeurs caractéristiques des étiages naturels sur 74 stations réparties dans différentes régions de France
Il existe une forte variabilité régionale en terme de débits minimum d’étiage. La hiérarchie s’établit depuis les cours d’eau méditerranéens jusqu’aux rivières de nappes normandes (Bresle, Durdent, Touques...), en passant par les rivières de Bretagne, du sud de la Normandie, du Massif central (bassin de la Dordogne), des Vosges puis des deux grands massifs montagneux que sont les Alpes et les Pyrénées. Globalement, hormis sur la façade ouest du Massif central et dans le Jura, les cours
d’eau de montagne fortement utilisés pour la production hydroélectrique présentent des débits d’étiage largement supérieurs à 10 % du module. Dans les Alpes, les Pyrénées et même les cours d’eau de la partie amont du bassin de la Loire, les débits d’étiage mensuels varient entre 16 et 30 % du module. Dans les Pyrénées, seuls le Q364 est proche du 1/10 du module. Dans zones de haute de montagne, seul les cours d’eau de très haute altitude soumis à la prise en glace et en neige peuvent présenter des valeurs ponctuellement inférieures à 10 % du module.
3.1.4. Intérêts d’application
Les méthodes basées sur les cycles hydrologiques permettent souvent une approche simple et relativement rapide en terme de valeurs de débit minimum. Elles réclament une bonne analyse des cycles hydrologiques et notamment une bonne description des situations d’étiage, ce qui permet d’effectuer une réelle comparaison avec la situation modifiée par un projet de prélèvement ou de dérivation.
Elles constituent une base de référence pour la mise en oeuvre d’autres méthodes car elles permettent de remettre en perspective la valeur de débit minimum proposée pour un aménagement avec les conditions naturelles d’étiage.
3.1.5. Limites d’application
Ces méthodes comportent toutefois un certain nombre de limites.
Aucune des valeurs guides indiquées dans les méthodes (Q99, Q97.5, Q95, Q90, Q95, VCN7 décennale, pourcentage du module ou des étiages mensuels...) ne reposent réellement sur des bases hydromorphologiques, hydrauliques ou écologiques. Elles n’ont pas été directement fixées à partir du croisement de chroniques hydrologiques et de chroniques biologiques indiquant les seuils en dessous desquels la qualité écologique des écosystèmes diminuait très significativement. De la même façon, aucune étude n’a réellement montré qu’en moyenne les paramètres hydrauliques et les surfaces mouillées diminuaient très nettement pour des débits inférieurs au Q90, au Q95 ou au Q99.
Les méthodes hydrologiques réclament également une bonne connaissance des cycles de débits avec des chroniques relativement longues et surtout des situations hydrologiques peu perturbées en étiage, ce qui est assez peu souvent le cas.
Si elles ne sont pas régionalisées, ce qui est rarement le cas, ces méthodes ne tiennent alors pas compte de la morphologie du cours d’eau qui peut largement influencer la sensibilité des communautés biologiques (Beecher, 1990).
3.1.6. Préconisations pour l’utilisation de ces méthodes
Disposer de chroniques hydrologiques de référence (peu perturbées par des prélèvements et/ou des transferts) relativement longues (plus de dix années) soit dans le bassin concerné, soit dans un bassin aux caractéristiques les plus proches possibles.
Analyser les étiages du cours d’eau tant au niveau des valeurs moyennes mensuels que des durées. Les valeurs de retour biannuel et les durées continues supérieures à dix jours constituent des références écologiquement pertinentes pour le fonctionnement écologique du cours d’eau. Les valeurs caractérisant des étiages de retour supérieur à cinq ans représentent des conditions exceptionnelles et non des références pour le fonctionnement de la rivière. Le choix de ce type de valeur minimale constituera une altération très significative des conditions d’étiage pour le cours d’eau.
L’analyse devra s’appuyer sur les valeurs moyennes mais aussi sur la variabilité des conditions d’étiage. En effet, pour une même valeur moyenne, certains cours d’eau peuvent présenter de très fortes variations inter-annuelles alors que d’autres seront beaucoup plus stables.
3.2. Les méthodes hydrauliques
3.2.1. Principes
Les méthodes hydrauliques ont été développées dans les années 1960-1970. Il en existe environ 23 types d’application (Tharme 2003) dont beaucoup concernent des cours d’eau à salmonidés. La plus utilisée est la méthode dite du « périmètre mouillé ».
Le principe de ces méthodes repose sur l’étude des variations des paramètres hydrauliques et des surfaces en eau en fonction de la valeur de débit. Ces relations sont de type puissance : largeur = débit(0,45/0,54) (Park, 1977 ; Kellerhals et Church, 1989 ; Molsley, 1982).
Elles font le postulat qu’une réduction significative de certains paramètres, et notamment des surfaces mouillées, peut avoir des incidences fortes sur les communautés biologiques, notamment par l’intermédiaire d’une perte des surfaces de production de nourriture (périphyton, invertébrés) que sont les substrats du fond (White, 1976 ; Jowett, 1997). Ces différentes méthodes proposent de définir une valeur de débit minimum qui correspond à celle à partir de laquelle les caractéristiques hydrauliques (surtout les profondeurs) et les surfaces en eau diminuent très significativement.
L’objectif est de maintenir un maximum de surface de production en eau.
3.2.2. Descriptions
Toutes les méthodes adoptent pratiquement le même protocole. Sur une station représentative, les conditions hydrauliques de hauteurs d’eau et de vitesses de courant sont décrites à partir de transects à une valeur de débit donné. Ensuite, soit ces mesures sont répétées à plusieurs débits, soit des modèles hydrauliques sont utilisés afin de calculer les valeurs des paramètres à différents débits.
L’évolution de plusieurs caractéristiques peut être appréhendée :
- les vitesses et hauteurs d’eau moyenne ;
- les largeurs mouillées ;
- le périmètre mouillé.
L’analyse peut porter sur la totalité de la station ou uniquement sur les faciès jugés les plus sensibles lors des variations de débits (en général, les faciès de type radier).
Une fois les relations établies, la valeur de débit minimum retenue correspond en général au point de rupture de la courbe à partir duquel les caractéristiques diminuent très significativement.
Evolution du périmètre mouillé en fonction du débit et définition de la valeur seuil de débit correspond au point d’inflexion de la fonction P = f (Q)
3.2.3. Exemples de résultats
Une synthèse de l’application des ces outils à différents type de cours d’eau français de moyenne et haute montagne montre que les valeurs de débits à partir desquels les pertes de surface en eau deviennent très significatives varient de 15 à 35 % du module avec une majorité de situation autour de 18-22 % du module.
Moyennes des évolutions de la largeur mouillée en fonction du débit – cours d’eau de haute et moyenne montagne
En comparaison, les résultats obtenus sur différents cours d’eau français sont très proches de ceux obtenus aux USA avec des points de basculement qui se situent entre 10 et 35 % du module pour des valeurs moyennes proches de 17 % (O’Shea, 1995 ; Mann, 2006).
Cette relation dépend beaucoup de la taille du cours d’eau mais également du type d’habitat considéré avec des réductions beaucoup plus significatives pour les faciès de type radiers (faciès très utilisés pour le reproduction des poissons et la production d’invertébrés).
3.2.4. Intérêts d’application
Les méthodes hydrauliques réclament des investigations sur le terrain en matière de description de caractéristiques hydrauliques et morphologiques. Elles permettent donc, contrairement aux méthodes hydrologiques, de tenir compte des spécificités morphologiques des cours d’eau (pente, rugosité des fonds, forme des berges).
Leur utilisation permet assez rapidement d’obtenir des éléments quant à la sensibilité du cours d’eau à la réduction du débit. Les évolutions de surfaces mouillées présentent des profils particuliers avec très souvent une valeur seuil de débit en deça de laquelle une réduction très importante est observée.
3.2.5. Limites d’application
Ces méthodes réclament comme toute investigation sur le terrain un choix pertinent et représentatif en matière de site de mesures.
Les éléments qu’elles appréhendent ne sont fondés que sur les caractéristiques physiques. Elles dépendent directement du rapport entre régime hydrologique et géométrie du lit. Aucun critère biologique n’est pris en compte. L’absence d’élément écologique limite les interprétations notamment sur les valeurs brutes des paramètres hydrauliques (des valeurs de 20 cm de profondeur ou de 10 cm/s de vitesse de courant sont-elles satisfaisantes pour les espèces présentes ; les radiers ou les profonds jouent-ils un rôle majeur dans le fonctionnement des communautés biologiques ?).
Ces méthodes s’appliquent parfaitement dans des morphologies à chenal unique peu ou pas modifiées.
Par contre, pour des cours d’eau en tresse, l’évolution est beaucoup plus complexe. L’identification d’un seul point de basculement dans la courbe largeur = f (débit) est beaucoup plus délicate.
Plusieurs seuils pourront être détectés en fonction des bras mis en eau.
3.2.6. Préconisations d’utilisation
Disposer d’une ou plusieurs stations d’au moins 20 fois la largeur du cours d’eau et parfaitement représentatives du tronçon impacté par l’aménagement (éviter les singularité et notamment la partie aval des tronçons court-circuités dont la ligne d’eau peut être influencé par la restitution de l’usine).
S’assurer de la pertinence de la modélisation hydraulique utilisée en effectuant au moins deux séries de mesures de largeur et de profondeur à des débits suffisamment différents.
Se concentrer sur les habitats les plus impactés par la perte de surface mouillé (en général, les radiers).
Définir une valeur de débit minimal correspondant au seuil à partir duquel la surface mouillée et la hauteur d’eau diminuent significativement.
Dans des tronçons à hydrologie modifiée, l’application de ces méthodes réclame des mesures sur une station de référence à morphologie similaire.
3.3. Les méthodes d’habitat
3.3.1. Principes
Les méthodes d’habitat se sont développées à partir des années 1970 aux USA et 1980 en France.
Elles constituent aujourd’hui pratiquement 30 % des méthodes disponibles. La plus connue d’entre elles en France est la méthode des microhabitats (Instream Flow Incremental Methodology [IFIM] aux USA – Bovee, 1982).
Le principe de ces méthodes repose sur la relation entre les organismes aquatiques et les conditions hydrauliques. Elles font plusieurs postulats :
- la majorité des organismes aquatiques d’eaux courantes présentent des préférences marquées pour les conditions hydrauliques (vitesse et hauteur d’eau) ainsi souvent que pour les substrats ;
- les modifications de ces conditions hydrauliques en fonction des valeurs de débits affecteront donc les organismes aquatiques dans leur distribution, leur comportement et leur croissance.
En connaissant l’évolution des conditions hydrauliques dans un tronçon de cours d’eau en fonction du débit ainsi que les préférences des espèces présentes, il est donc possible d’établir une relation entre un potentiel d’accueil pour les espèces et la valeur de débit et ainsi d’effectuer un choix.
3.3.2. Descriptions
Ces méthodes se basent sur une description des caractéristiques hydrauliques, des substrats du fond et de la topographie d’un tronçon de rivière et le croisement à un débit donné de ces caractéristiques avec les préférences d’une ou plusieurs espèces cibles à différents stades de développement.
Aux USA, le principal outil utilisé est le Physical HABitat SIMulation (PHABSIM). En France, trois approches ont été développées :
- la méthode EVHA (évaluation de l’habitat), qui repose sur la caractérisation hydraulique et topographique d’une station et l’utilisation d’un modèle hydraulique pour calculée les différentes valeurs de vitesses et de hauteur d’eau à plusieurs débit (Ginot, 1998 ; Ginot et al., 1998) ;
- la méthode LAMMI (Sabaton et al., 1995 ; Tissot et al., 2008) [logiciel d’application de la méthode des microhabitats] qui mesure directement les conditions de hauteurs d’eau et de vitesses à différents débits ;
- la méthode ESTIMHAB (Lamouroux et Capra, 2002, Lamouroux et Souchon, 2002 ; Souchon et al., 2003 ; Sabaton, 2003) qui est un fait une modélisation des résultats de la méthode EVHA.
L’évolution des surfaces d’habitat disponibles en fonction du débit a été directement reliée à la géométrie du lit, aux grandeurs hydrauliques que sont le nombre de Froude et ne nombre de Reynolds et à la valeur de débit médian du cours d’eau. On retrouve dans cette approche les principes des relations entre hydrauliques, surface mouillée et géométrie du cours d’eau qui dépend elle-même de l’hydrologie.
Trois éléments clés vont donc conditionner les résultats de ces approches :
- le choix des sites de mesures et le niveau de représentativité du tronçon de cours d’eau concerné ;
- le choix des espèces cibles et de leur stade de développement ainsi que la connaissance de leur préférence pour les conditions hydrauliques et le substrat ;
- la qualité de la modélisation hydraulique.
Des critères précis ont été définis dans les différentes approches françaises afin d’assurer une bonne représentativité des sites d’étude (nombre de faciès d’écoulement, nombre de transects et de points de mesures).
Concernant les espèces, la majorité des développements ont été effectués pour la truite commune et dans une moindre mesure pour le saumon atlantique. Pour les autres espèces (principalement les cyprinidés d’eau vive), une caractérisation des préférences a été effectuée sur certains cours d’eau.
Le terme préférence recoupe en fait plusieurs aspects du comportement du poisson :
- la recherche de conditions hydrauliques et de substrat précises pour satisfaire un besoin particulier (reproduction, nutrition) ;
- la recherche de conditions hydrauliques assurant un minimum de dépense énergétique et un refuge pour le repos ;
- les capacités de nage des espèces et des individus avec des valeurs limites ne permettant pas au poisson de se maintenir dans le cours d’eau.
Une courbe de préférence pour une espèce et un stade de développement englobe donc tous ces aspects et représente ainsi une description très générale de l’activité d’un individu.
Exemple de courbes de préférence de la truite adulte (> 16-18 cm) pour la vitesse du courant utilisée dans le modèle EVHA (source CEMAGREF)
Comme le montre l’exemple de la courbe de préférence de la truite commune pour la vitesse du courant, plusieurs types de comportement et de capacité de nage sont inclus dans cette courbe. Ces comportements n’ont pas du tout la même signification biologique et ne mettent pas en jeu les mêmes mécanismes physiologiques et les mêmes relations avec les congénères.
En matière de modélisation hydraulique, les outils développés permettent des approches globales sur des valeurs moyennes qui sont ensuite redistribuées en chaque point de mesures. Ces modèles sont très sensibles à la rugosité des fonds et aux conditions aval qui fixe l’évolution de la ligne d’eau.
3.3.3. Exemples de résultats
Exemples de trois types d’évolution caractéristiques de l’habitat de la truite adulte en fonction de la valeur de débit
En général, trois types d’évolution sont observés :
- un gain très significatif d’habitat pour les faibles valeurs, une plage avec un optimum et une baisse progressive ;
- un gain quasiment régulier de surfaces d’habitat favorables avec le débit ;
- une quasi-stagnation des surfaces favorables quelle que soit la valeur de débit.
Certaines espèces présentent pour le stade adulte des évolutions particulières avec une progression ou une régression quasi constante de l’habitat disponible avec le débit.
Au sein d’une même espèce, les stades de développement ne réagissent pas forcément de la même manière. En général, les alevins et les juvéniles présentent des profils assez proches tandis que les adultes se différencient nettement. Cette situation est extrêmement fréquente.
3.3.4. Limites d’application
Les résultats des méthodes d’habitat sont sensibles aux choix et à la pertinence du modèle biologique, au calage du modèle hydraulique à la mise en oeuvre des mesures de terrain, aux modifications de la morphologie. La méthode est de plus limitée vis-à-vis de certains stades de développement ou d’espèces.
3.3.4.1. Incidences des courbes de préférence
Évolution des surfaces d’habitats favorables à la truite commune en fonction du type de modèle biologique utilisé ou d’une variation d’une même courbe (Courret 2005)
De nombreuses études ont montré la forte sensibilité des réponses de l’habitat en fonction de la courbe de préférence choisie. Courret (2005) a montré, sur une même station, que l’évolution de l’habitat de la truite adulte pouvait être totalement différente selon la courbe de préférence choisie.
De la même façon, une variation de ± 10 % ou 20 % autour de la préférence pouvait générer une réponse très variable de l’habitat estimé par la méthode des microhabitats.
Les modèles biologiques aujourd’hui disponibles sont très généralistes. Ils rassemblent des probabilités qu’un habitat soit utilisé par une espèce à un stade de développement donné pour une large gamme d’activité (repos, abris/refuge, nutrition). Ils sont basés sur des conditions hydrauliques moyennes de la colonne d’eau, conditions qui peuvent être bien représentatives pour de faible valeur de débit mais qui perdent très nettement de leur représentativité lorsque le débit et la
rugosité augmentent. Ainsi, sur un cours d’eau des Pyrénées à régime naturel, la valeur d’habitat pour les truites adultes passe de 24 % à 43 % lorsqu’elle est calculée en utilisant les vitesses prises à 0,2, 0,4 et 0,8 de la colonne d’eau ou en utilisant la seulement vitesse à 5 cm du fond. La confrontation à l’abondance des poissons présents sur le site montre que la valeur d’habitat calculée en utilisant les vitesses au fond est beaucoup plus pertinente (Baran, 1994).
3.3.4.2. Calage du modèle hydraulique
Le modèle hydraulique utilisé réclame une attention quant aux conditions aval des stations avec la présence nécessaire d’un seuil naturel (radier) ou alors une modification des conditions dans le modèle. Les tests effectués dans différents cours d’eau montrent que dans une gamme de débits situés entre l’étiage et le module, la restitution des lignes d’eau par le modèle est relativement conforme aux mesures in situ.
3.3.4.3. Influence de la morphologie
L’application de la méthode sur un tronçon de cours d’eau dont la morphologie est modifiée présente des biais très importants vis-à-vis du choix d’une valeur de débit minimum. En effet, dans une situation d’hydrologie très modifiée, le lit mineur du cours d’eau s’est souvent ajusté aux nouvelles conditions avec notamment une réduction de la largeur mouillée. Ces morphologies imposent une nouvelle sensibilité au débit avec des valeurs optimales qui sont en rapport avec le
nouveau module du cours d’eau. Cette situation est très fréquente pour les tronçons situés sous les grands barrages écrêtant fortement les crues, voire dans des tronçons court-circuités au fil de l’eau.
3.3.4.4. Limites de la méthode pour certains stades de développement
L’utilisation de la méthode des microhabitats basée sur une description des conditions hydrauliques et des substrats par transects n’est pas adaptée aux stades de développement qui utilisent deshabitats très particuliers et très spatialisés. C’est le cas de la reproduction. L’approche directementpar « patch » de graviers pour la truite commune est largement plus pertinente (Delacoste et al., 1995). De même, les habitats des premiers stades larvaires ainsi que des jeunes alevins qui utilisent
très majoritairement des zones de bordure (Copp 1992 ; Sempeski, 1995 ; Liebig, 1998) ne peuvent être quantifiés par une approche de transects.
Les relations aux conditions hydrauliques du cours d’eau et la capacité de les décrire peut être également très limitée pour des espèces de fond utilisant la rugosité des substrats et pour lesquelles il est très difficile d’appréhender les véritables conditions de vie. C’est le cas du chabot ou de la loche franche.
De même, des espèces adaptées aux habitats lentiques comme le gardon, le rotengle ou la brême ne constitueront pas des cibles biologiques pertinentes pour la définition de valeur minimale de débit. Le comportement de recherche de nourriture de ces espèces n’est absolument pas dépendant des conditions hydrauliques à l’inverse des cyprinidés d’eaux vives comme le barbeau, le spirlin, le blageon ou le hotu.
3.3.5. Préconisations d’utilisation
Les préconisations sont similaires à celles des méthodes hydrauliques en y ajoutant :
- le choix d’une ou plusieurs cibles biologiques pertinentes tant du point de vue des espèces que des stades de développement ;
- l’intégration par rapport au cycle hydrologique afin de définir les durées d’habitat limitant dans le tronçon.
4. Débits minimums et continuité écologique
De nombreuses espèces de poissons, et plus particulièrement les migrateurs amphihalins, ont des besoins impératifs en terme de libre circulation pour accéder aux habitats vitaux pour l’accomplissement de leur cycle biologique. Les dispositifs permettant le franchissement de ces espèces, que ce soit pour la dévalaison ou pour la montaison, nécessitent également des débits minimums afin de garantir leur efficacité. Dans le cas d’un barrage-usine sans tronçon court-circuité, il est donc tout de
même nécessaire de définir un débit réservé pour l’alimentation des dispositifs de franchissement (montaison, dévalaison). Dans le cas d’une usine en dérivation, on peut être amené à construire soit une seule passe à l’usine ou au barrage, soit deux passes, en particulier lorsque la dérivation est longue et les déversements fréquents. Le choix de l’implantation de la ou des passe(s) dépend de nombreux facteurs, parmi lesquels le débit d’équipement de la centrale, sa configuration (hauteur de chute à l’usine, longueur du tronçon court-circuité...), ainsi que les conditions hydrologiques en période de migration. Dans le cas où il est difficile d’aménager une passe à poissons à la centrale (présence d’une conduite forcée, chute importante), il conviendra de rendre le tronçon court-circuité attractif en y délivrant en permanence un débit suffisant. Le débit alimentant une passe implantée au barrage sera inclus dans le débit minimum délivré dans le tronçon court-circuité, celui alimentant une passe à l’usine s’y rajoutera. Les dispositifs de dévalaison étant généralement associés aux plans de grille disposés à l’amont des centrales, les débits les alimentant s’ajouteront au débit minimum délivré dans les tronçons court-circuités. On peut néanmoins envisager de traiter la dévalaison
au niveau du départ du canal d’amenée, le débit étant alors inclus dans le débit minimum délivré dans le tronçon court-circuité. Les débits assurant une bonne efficacité des ouvrages de franchissement (montaison + dévalaison) peuvent être très variables suivant les enjeux migratoires et les caractéristiques de l’aménagement. Ils peuvent atteindre de 10 % à plus de 20 % du module avec une saisonnalité pour le débit attribué à la dévalaison. On rappelle qu’outre la libre circulation piscicole, la continuité écologique englobe également le transit des sédiments. Pour être effectivement transparent vis-à-vis du transport solide, un aménagement hydroélectrique devra être équipé d’ouvrages évacuateurs adaptés (possibilité d’effacer le barrage ou vannes de fond expressément dimensionnées...)
et géré de manière adéquate en termes de nombre, de timing et de durée des opérations de transparence.
5. Préconisations
De nombreux outils sont disponibles pour aider à définir des valeurs de débit minimum dans des-tronçons de cours d’eau. Les enjeux de ces choix étant très importants tant du point de vue énergétique-qu’écologique, il est nécessaire de conduire une véritable démarche construite et hiérarchisée-s’appuyant sur le maximum d’informations disponibles.
Préconisation 1.
Les 3 types de méthodes doivent être appliquées :
- méthode hydrologique permettant de caractériser le plus finement possible les conditions d’étiage naturelles et ainsi de replacer les modifications hydrologiques par rapport à ces conditions ;
- méthode hydraulique permettant d’appréhender l’évolution de la morphologie et de l’hydraulique du cours d’eau en fonction du débit ;
- méthode d’habitat permettant d’affiner les résultats précédents en s’appuyant sur des cibles écologiques préalablement définies.
Préconisation 2.
Avoir une très bonne connaissance :
- de la situation écologique du tronçon de cours d’eau pour identifier les enjeux et surtout les espèces et les stades de développement réellement sensibles à la réduction des débits ;
- de l’emprise de l’installation qui définira le niveau d’impact potentiel (longueur du tronçon courtcircuité, débit d’équipement, hauteur de l’ouvrage rapportée à la pente du cours d’eau...).
Préconisation 3.
Caractériser l’ensemble des modifications hydrologiques apportées par le projet pas uniquement sur les valeurs de débit minimum mais également sur les débits de crues, les amplitudes de variations et éventuellement les gradients de variations.
Préconisation 4.
Dans le cas d’un aménagement existant, ne pas se limiter à la description de stations déjà impactées par des modifications de débit mais travailler également sur un site témoin à hydrologie non modifié et à morphologie similaire.
Préconisation 5.
La valeur de débit réservé peut être fixée également pour des objectifs de continuité écologique, notamment pour le fonctionnement et l’attractivité des dispositifs de franchissement en montaison et en dévalaison. Ce débit peut selon les situations (grands migrateurs amphihalins, par exemple) devenir prioritaire.
Préconisation 6.
En contexte de variation brutale de débit (régime d’éclusées), la fixation du débit minimum (ou plus exactement du débit de base) doit s’appuyer sur la bonne connaissance du régime d’éclusée (fréquence, amplitudes, gradients...) et de la morphologie (présence de bras et cordons rivulaires...) en tenant compte des spécificités des espèces biologiques concernées (mise en assec de frayères, échouage et piégeage des larves...).
6. Eléments constitutifs de l’étude de débit minimum biologique présentée par le pétitionnaire
L’étude de débit minimum biologique présentée par le pétitionnaire doit :
- mentionner la ou les méthode(s) utilisée(s) pour la détermination de ce débit minimum biologique ;
- comprendre la fourniture des modèles de types micro-habitats, si cette méthode est utilisée ;
- inclure une justification de la prise en compte des paramètres de contexte, dont la liste ci dessous ne prétend pas être exhaustive.
Contexte environnemental :
- régime hydrologique naturel (crues morphogènes, débits caractéristiques d’étiages, lithologie, apports intermédiaires...) ;
- géomorphologie du cours d’eau (pente moyenne, forme de la section mouillée, granulométrie du substrat, colmatage éventuel, succession des faciès d’écoulement) ;
- connectivité longitudinale, latérale, verticale ;
- régime thermique ;
- apport de matières en suspension ;
- qualité de l’eau ;
- état écologique et objectifs au sens de la directive cadre sur l’eau des masses d’eau concernées.
Contexte biologique :
- populations en place en particulier les poissons migrateurs et notamment amphihalins ;
- habitats (zones de frayères dont celles délimitées dans l’application de l’article L. 432-3 du code de l’environnement, alimentation, croissance, refuges) ;
- exigence faune/flore pour équilibre milieu, état des réseaux trophiques ;
- biodiversité régionale (Natura 2000, réservoirs biologiques), espèces protégées, espèces invasives ;
- cycle de vie des espèces.
Caractéristique de l’ouvrage :
- longueur tronçon court circuité ;
- usages, modes de fonctionnement et contraintes techniques ;
- caractérisation des éclusées si présence (amplitude, gradient de montée et de baisse) ;
- succession d’ouvrages (effets néfastes cumulatifs).
Bibliographie
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Rappels sur la méthode Tennant ou méthode du Montana (Tennant, 1976)
Ce travail a été réalisé sur 58 stations appartenant à 11 cours d’eau du Montana, du Nebraska et du Wyoming, avec à la fois des espèces d’eaux froides et des espèces d’eaux chaudes. Sur chaque station, des informations concernant la largeur, les profondeurs, les vitesses, la morphologie du chenal, les poissons et leurs possibilités de migration, les invertébrés et l’aspect « esthétique » ont été collectés. Tennant a relié l’évolution des différents paramètres au débit ainsi qu’une estimation globale de qualité de l’habitat des poissons.
Evolution de la largeur mouillée moyenne des 58 stations étudiées par Tennant d’eau en fonction du débit
Evolution des profondeurs et vitesses moyennes des 58 stations étudiées par Tennant d’eau en fonction du débit
L’évolution des caractéristiques hydrauliques et de la surface en eau en fonction du débit montre une réduction très significative pour des débits inférieurs à 15-20 % du module.
A l’issue de son analyse, l’auteur a proposé différents niveaux de recommandation de débits exprimés en pourcentage du module et relier chacun à une situation en termes d’habitat des poissons ceci pour deux périodes distinctes, d’avril à septembre et d’octobre à mars.
Recommandations de débit (en pourcentage du module) formulées par Tennant après analyse des relations entre l’habitat des poissons et le débit sur 58 stations de 11 cours d’eau des USA
L’approche de Tennant n’a donc pas fourni réellement une méthode mais une grille de décision évaluant un niveau de risque pour l’habitat des poissons selon la valeur de débit minimum choisie et exprimée en pourcentage du module. Cette grille ne réclame qu’une connaissance du module. En cela, elle se classe dans les approches hydrologiques mais ses fondements sont basés sur la biologie et l’habitat.
Ce travail a largement été repris à travers de nombreux pays et notamment en France pour fixer des valeurs minimales de débit correspondant à un pourcentage fixe du module (2,5 %, 5 %, 10 %)
Annexe 3 : Guide méthodologique en vue de l'estimation du module d'un cours d'eau
Interpolation des modules : quelles évolutions depuis la note technique de 1987 ?
Eric SAUQUET, avec les contributions techniques de Clotaire CATALOGNE.
Unité de recherche hydrologie – hydraulique, groupement de Lyon, 3 bis, quai Chauveau, CP 220. 69336 Lyon Cedex 09.
1. Introduction
La note technique du Cemagref datant de 1987 intitulée « Guide méthodologique en vue de l’estimation du module d’un cours d’eau » avait pour objectif d’aider les services techniques à estimer le module des cours d’eau. Son intérêt réside dans son aspect très pragmatique : est proposée une méthode jugée la plus performante selon la disponibilité de données hydrologiques. Elle reflète un état de l’art compte tenu des outils mobilisables et des données facilement disponibles à la date de
parution.
L’objectif de ce document est de réactualiser les éléments proposés en 1987, de compléter par d’autres approches possibles et d’illustrer anciens et nouveaux développements par des exemples extraits de projets de recherche ou d’applications réalisées dans le cadre d’études nationales. Nous proposerons quelques recommandations.
2. Le module : définition, représentativités hydrologique et statistique
En préambule, il faut rappeler que le module interannuel recherché doit être relatif à un état naturel. Ceci induit des questionnements sur la nature des débits utilisés sur le secteur étudié. Ces débits sont usuellement extraits de la banque HYDRO (http ://hydro.eaufrance.fr) qui référence la majorité des stations hydrométriques en France (1).
Au-delà des séries temporelles, sont également renseignées dans la banque HYDRO différentes méta-données dans les « fiches stations » : surface hydrologique, surface topographique, coordonnées géographiques, qualité globale des mesures... et le caractère influencé du régime (avec plusieurs choix possibles : « pas ou faiblement », « fortement » sur l’intégralité du régime, en crue ou en étiage). C’est cette dernière information qui nous intéresse ; mais, malheureusement, elle n’est
pas exploitable quantitativement : le qualificatif « faiblement » n’est pas associé à un (pourcentage de) volume sous gestion effective. Le seuil de pression qui fait basculer un bassin dans la catégorie « fortement influencé » est inconnu. En outre, des erreurs sont possibles, sachant que, par défaut, l’appellation « pas ou faiblement » est enregistrée : par exemple, la dernière station hydrométrique de l’Isère, avant confluence avec le Rhône, en aval de l’ensemble des ouvrages hydroélectriques est considérée comme « pas ou faiblement » influencée (interrogation de la base en septembre 2010). Un regard doit également être porté sur la qualité des mesures, sur la base des appréciations du gestionnaire. Cette expertise permettra d’exclure les stations aux données réellement douteuses (2).
(1) Les gestionnaires d’ouvrages (EDF, CACG, CNR...) disposent de données recueillies, soit sur un tronçon de cours d’eau, soit à partir de bilans au niveau d’aménagements qu’ils ont en charge, mais ces séries ne sont pas forcément versées dans la base de données nationale. La banque HYDRO n’est donc pas la seule source de données possible.
(2) A ce jour, il n’est pas possible de connaître a priori les erreurs métrologiques. On peut tolérer la présence d’une station douteuse, dès lors qu’elle apporte de l’information et que sa présence ne compromet pas l’efficacité des méthodes d’interpolation en sites non jaugés. Le principe de précaution veut que par défaut les stations douteuses soient exclues.
Le diagnostic sur les pressions auxquelles le bassin est soumis et sur la qualité des enregistrements étant réalisé, on peut exploiter les chroniques des stations réputées fiables sans influence notable ou, dans le cas contraire, engager une opération de re-naturalisation. Dans ce dernier cas, des modèles statistiques à base de bilan ou plus complexes, physiques ou comportementaux, doivent être élaborés.
Pour ce qui concerne l’irrigation, des outils pour quantifier le besoin en eau de la plante, représenter le comportement des agriculteurs, traduire dans le temps la soustraction à la ressource (représentation par des réservoirs simulant le remplissage/la vidange des stocks collinaires différés)... sont à construire et des données d’usage de l’eau doivent être collectées pour les caler et en vérifier la pertinence. Les développements à réaliser sont parfois conséquents (fonctions du nombre de
sources de perturbation), des hypothèses simplificatrices peuvent être proposées pour obtenir des débits naturels ; elles doivent être clairement énoncées (par exemple : hiérarchisation des pressions pour ne corriger que les influences les plus significatives). À l’issue de ces opérations, nous supposons disposer de chronique de débits naturels fiables. Le calcul du module, noté QA, est possible.
Le module QA est défini comme le débit annuel moyen ; il s’agit donc de la moyenne des débits annuels. Le débit plancher QP, dans son acception la plus répandue, est fixé au dixième du module.
Il convient de rappeler quelques propriétés statistiques de ces variables.
Tout d’abord, le module n’est pas égal à la médiane des débits journaliers. La distribution statistique des débits journaliers n’est pas symétrique (en particulier, elle n’est pas gaussienne). De ce fait, les statistiques moyenne et médiane ne sont pas confondues. Nous avons essayé de placer les modules dans la courbe des débits classés en exploitant le jeu de données national de Catalogne et Sauquet (2010). Pour chaque station, sont calculés le module QA et la fréquence au dépassement de QA, proportion de jours dans l’année pendant lesquels le débit journalier est supérieur au module QA. La distribution des fréquences de dépassement de QA collectée sur un ensemble de près de 1 000 stations est donnée dans la figure suivante :
Il apparaît que le module est une valeur qui est dépassée entre 25 et 35 % du temps. Le module peut s’écarter de manière significative de la médiane.
Nous avons effectué le même travail sur le débit plancher, QP, fixé au dixième du module.
La valeur correspondante au QP est une valeur faible excessivement rare, proche du débit minimal enregistré, puisque, pour près de 30 % des stations, cette valeur est dépassée 99 % du temps. En d’autres termes, le dixième du module n’est que très rarement sous-passé. Ce résultat est cohérent avec l’analyse réalisée sur 74 stations (de Baran et al., 2008) qui concluait : « Les débits caractéristiques d’étiage inférieurs à 10 % (QMNA5, Q90, Q95) du module ne sont pas des situations très
fréquentes ni dans le temps, ni à l’échelle du territoire français. Pour la majorité des massifs de montagne en France, les débits minimum d’étiage sont très largement supérieurs à 10 % du module. »
Le bassin versant est soumis aux fluctuations naturelles du climat. Le débit annuel reflète cette variabilité temporelle filtrée par les processus de transformation pluie-débit. Il est évident que calculer le module sur la base d’une moyenne sur une courte période rend sensible aux spécificités climatiques de la période d’enregistrement. L’alternance des années sèches et humides peut biaiser l’estimation du module, en particulier si elle se fonde sur quelques années de mesure prises au hasard. Si on calcule le module à partir de données prises sur une période sèche en une station, il y a un fort risque de sous-estimer la vraie valeur.
Catalogne (2010) dans le but de déterminer un jeu de données de référence pour la cartographie de variables d’étiage a réalisé des tests de sensibilité de la valeur du module à la longueur de la chronique. Cette analyse de sensibilité s’appuie sur un ré-échantillonnage au sein de séries suffisamment longues sur la période de référence 1970-2005. Une valeur de QA est calculée successivement pour des longueurs comprises entre 5 et 30 années consécutives (i.e. échantillonnage par
blocs, sauf présence de lacunes). Un écart à la valeur de référence obtenue sur la totalité de la chronique disponible (i.e. jusqu’à 35 années) est ensuite calculé. Pour une durée donnée, on recense alors les stations pour lesquelles 75 % des valeurs calculées s’écartent de moins de 10 % de celle de référence. Le résultat est synthétisé par la figure suivante :
On peut y lire le fait que 50 % des stations présentent 75 % des valeurs calculées sur 14 années avec un écart de moins de 10 %. Lorsqu’on étend à 18 ans, 75 % des stations ont 75 % des valeurs avec un écart de moins de 10 %. Sur cette base, une durée de 18 ans semble acceptable pour obtenir une valeur robuste. Cette contrainte est définie à l’échelle nationale ; des réajustements locaux sont toujours possibles sous réserve de faire un exercice de ré-échantillonnage similaire à celui proposé ici.
Pour exploiter les séries courtes, une procédure de réajustement doit être engagée. Une manière de procéder consiste à s’appuyer sur des débits. Il s’agit de réaliser une analyse temporelle régionale des coefficients d’hydraulicité, i.e. le rapport du débit annuel daté sur le module calculé sur la plus longue période de disponibilité. Il a l’avantage d’être sans dimension, donc comparable d’une station à une autre. Lorsqu’il prend une valeur supérieure à 1 pour une année, cette année sera dite
« humide ». Lorsqu’il est inférieur à 1, l’année en question sera qualifiée de « sèche ». La procédure
suggérée consiste à faire un réajustement « climatique » des estimations des séries courtes en divisant le débit QA* calculé sur la période d’observation par l’hydraulicité moyenne régionale HydraulicitéRégionale* (toutes stations « longues » confondues) sur cette même période :
QA = QA*/HydraulicitéRégionale*
Une dernière question peut être soulevée : doit-on restreindre la période de calcul du module pour ne pas biaiser les estimations du module du fait d’un (possible) changement climatique ? Répondre « oui » sous-entendrait : (1) qu’un effet du changement climatique est déjà présent dans les données et (2) que la réglementation impose de préserver le milieu selon des conditions hydrologiques antérieures.
Le point (2) supposerait également l’existence d’une période définissant la référence climatique passée pour effectuer les calculs. Le changement global et son traitement relèvent du domaine de la réglementation et des choix en matière d’adaptation en lien avec la directive cadre européenne sur l’eau. En absence de toute démonstration scientifiquement étayée ou de tout cadre réglementaire, rien n’empêche à ce jour l’utilisation de données sur plus de vingt ans, pour réduire les
incertitudes autour de l’estimation du module. Il faut exploiter les données sur la plus grande longueur de disponibilité. Si on se place dans une perspective de non-stationnarité et de volonté d’adaptation en conséquence, la procédure de calcul sera forcément à réviser, non pas en restreignant les données utilisables, mais plutôt en cherchant à décrire et projeter les évolutions temporelles du module.
Application : notre exemple repose sur les longues séries disponibles du bassin de la Drôme (d’au moins dix-huit années d’enregistrement). La moyenne des débits annuels est calculée sur toute la période disponible. Les débits annuels ont été calculés sur les années hydrologiques entre le 1er septembre et le 31 août de l’année suivante (dans notre convention, l’année hydrologique « 1971 » correspond ainsi à la période entre le 1er septembre 1970 et le 31 août 1971). Pour chaque station, nous avons déterminé la chronique des coefficients d’hydraulicité. Puis, pour chaque année, nous avons rassemblé tous les coefficients et synthétisé chaque année par une boîte à moustache.
La figure ci-dessus montre les évolutions des coefficients d’hydraulicité sur la période 1970-2008.
Elle met en évidence des oscillations autour de la valeur 1. Nous pouvons noter un comportement de bloc : l’hydraulicité varie de façon assez similaire sur l’ensemble des stations. Les années sèches et les années humides ont tendance à être partagées simultanément par une majorité de bassins versants. Il existe donc une forte solidarité à l’échelle du secteur. Cette solidarité est gage d’une bonne efficacité de la procédure de réajustement.
Des modules de stations courtes ont été corrigées selon cette procédure (cf. tableau plus bas).
Les modifications opérées sur les stations courtes induisent un changement de l’ordre de 15 %. Il faut noter que la procédure semble fiable puisqu’on obtient plus de cohérence des modules estimés au niveau de la Drôme, à Saillans. La station DREAL (V4264010), aux enregistrements étendus, annonce un module de 17,79 m3/s. La station gérée par la Compagnie nationale du Rhône, beaucoup plus courte (V4264CNR), proposait 13,48 m3/s sans réajustement sur une période incomplète entre 1994-2008. La valeur pour la station V4264CNR intégrant le réajustement climatique, 15,6 m3/s, se rapproche de celle de la DREAL.
Pour tester l’efficacité des procédures de réajustement par simulation, nous avons choisi trois stations aux enregistrements supérieurs à trente-quatre ans sur le secteur d’étude. Nous allons les considérer comme peu jaugées et les traiter en conséquence, i.e. calculer les modules sur toutes les sous-périodes possibles de N années, puis réajuster les valeurs et les comparer au module QA calculé sur la période de disponibilité complète. Nous avons retenu finalement la racine de la
moyenne des écarts relatifs quadratiques (RMSRE).
Les résultats graphiques montrent qu’il y a un intérêt à effectuer un réajustement en particulier pour les durées très courtes, inférieures à cinq ans (comparaison entre courbes noires « sans réajustement » et courbes bleues). Cette opération ne semble pas introduire de biais (les courbes bleues sont en périphérie immédiate des courbes noires dans le cas où cette procédure n’est pas efficiente, par exemple, sur le troisième exemple).
3. Quelles méthodes pour l’estimation en sites non jaugés ?
3.1. Les méthodes à base de formulation empirique
Éléments méthodologiques : la revue de la littérature technique montre la prééminence de ce type de méthodes. Ces relations sont le plus souvent déduites d’analyses corrélatoires sur les données brutes de débit lorsqu’on souhaite établir une formulation linéaire ou sur les logarithmes de débits lorsqu’on souhaite établir une relation de type puissance. La difficulté de ce type d’approche réside principalement :
1. Dans le choix des variables auxiliaires.
2. Dans le choix de la forme mathématique de la relation empirique.
Concernant le point 1, la relation la plus simple pour estimer le débit de référence en l/s ou m3/s est celle qui repose uniquement sur la surface drainée S. Elle prend la forme Q = aSk. Elle considère implicitement un débit spécifique ou pseudo-spécifique (Q/Sk) constant sur la région d’étude. k est généralement proche de 1 (1). L’hypothèse faite est que le seul facteur agissant est lié au support de la donnée, les autres facteurs climatiques ou géologiques ayant une influence mineure. Ce type de relation est faussement efficace : les débits en m3/s sont toujours fortement corrélés à la surface avec des coefficients de détermination R2 très élevés. Ces relations traduisent le fait que les volumes écoulés augmentent avec la surface de collecte. C’est une vision bien souvent trop simpliste pour accéder aux particularités aux petites échelles. Pour être efficace, d’autres variables doivent intervenir.
La sélection des variables candidates potentielles doit intégrer les processus dominants qui déterminent les écoulements annuels. Quelles variables pourraient caractériser au mieux les interactions entre le milieu et le régime hydrologique ? Cependant, l’insertion d’une variable dans une relation empirique, même basée sur des considérations physiques, n’est pas forcément un gage de performance.
En effet, la plupart des indicateurs n’ont qu’un lien indirect avec les questions de nature hydrologique. C’est principalement le cas des données renseignant le sol ou le sous-sol. Enfin, un choix raisonné pourra s’appuyer sur les pratiques antérieures et sur la disponibilité et la pertinence statistique et physique de ces descripteurs pendant l’étude.
Les variables vers lesquelles on se dirige naturellement sont d’origine climatique. Les débits sont la transformation d’entrées météorologiques en écoulement de surface. À défaut de disponibilité de ce type de données, on peut exploiter l’altitude. La variabilité spatiale des pluies et des températures à grande échelle est, en effet, expliquée par l’orographie. Sous nos latitudes, les pluies sont plus abondantes en altitude et le terme d’évapotranspiration moindre du fait de températures de l’air plus faibles qu’en plaine. C’est ce qui a motivé l’usage de cette unique variable dans les relations établies pour décrire les écoulements annuels par Sauquet (2005).
Des tests statistiques doivent être mis en oeuvre pour s’assurer que les variables retenues ont un rôle significatif dans la relation établie et pour éliminer les effets de colinéarités entre variables (redondance d’information). Il peut être utile de chercher à comprendre l’origine du rejet d’une variable ou le signe de la pondération associée à une variable (ou même les coefficients de corrélation partielle, qui mesurent le degré de liaison entre la variable visée et une variable explicative, les
autres étant supposées constantes, i.e. « les effets d’une variable toutes choses égales, par ailleurs »).
Un des degrés de liberté concerne la forme mathématique de la relation empirique (point 2).
Faut-il privilégier une relation linéaire ? Une relation puissance ? Les débits résultent d’interactions entre processus non linéaires. Ceci nous inciterait à privilégier une loi puissance. L’hydrologue pourrait être tenté de privilégier un modèle linaire exploitant, outre la surface S, les termes du bilan hydrologique : un terme relatif aux pluies P et un autre descriptif de l’évapotranspiration ET potentielle (ETP) ou réelle (ETR), et de se rapprocher de l’équation simplifiée du bilan hydrique. Le débit de surface en m3/s est à un facteur multiplicatif de rendement r près donné par : Q ≈ rS(P-ET) ou lorsque le débit est converti en lame d’eau ou débit spécifique : Q ≈ r(P-ET) .
Il n’y a pas de réponse immédiate, encore moins définitive : il faut tester les formulations, analyser les résultats des coefficients d’efficience, examiner les pondérations associées aux variables explicatives. L’expertise doit intervenir à différents niveaux, pour éviter toute formulation « insolite » qui pourrait engendrer des
extrapolations aberrantes.
Notons que :
- la gamme de valeurs sur laquelle la relation a été établie doit être précisée. Se pose la question de la confiance accordée aux estimations pour des bassins dont les caractéristiques seraient en dehors des valeurs de calage ;
- pour être efficace, il est parfois utile de construire des relations par région, ce qui permet de rassembler des bassins soumis à des processus similaires et de mieux cerner les variables explicatives.
Attention toutefois aux discontinuités entre régions.
Du point de vue technique, la régression est bien souvent la méthode retenue pour mettre en forme la relation empirique sur les variables brutes ou transformées log. Elle offre un cadre statistique objectif pour l’estimation des variables de débits en fonction de descripteurs de bassin. Laaha et Blöschl (2006) rappellent qu’il ne faut cependant pas oublier de vérifier a minima les propriétés statistiques attendues des résidus (homoscédasticité, c’est-à-dire une erreur du modèle qui soit équivalente sur toute la gamme d’application, et caractère gaussien des résidus).
Application : un exemple est donné sur le bassin de la Drôme. Sont représentés les liens entre le module QA exprimé en mm/an et d’autres variables (ZMOY désigne l’altitude moyenne, PA la pluviométrie annuelle, ETPA l’évapotranspiration potentielle annuelle et ETRA l’évapotranspiration réelle annuelle).
Ces variables sont fortement corrélées (en particulier ETRA et ETPA, avec R2 = 0,86). La meilleure relation linéaire entre QA et une des variables météorologiques est celle qui s’appuie sur l’ETPA
(R2 = 0,44) : QA = – 1,49 ETPA + 1484,3
La seconde variable explicative est la pluie (R2 = 0,41) : QA = 0,6806 PA – 317,21.
Des tests ont été réalisés pour construire une relation exploitant deux variables parmi celles listées plus haut (régression multilinéaire). Les résultats montrent que l’apport d’une seconde variable explicative est faible et n’est pas significatif au sens du test de Student (à 5 %) sur les coefficients de pondération.
Finalement, parmi les deux relations les plus efficaces laquelle choisir ? La première semble la plus performante au regard du seul R2, mais la pondération associée à l’ETPA est en valeur absolue supérieure à 1, ce qui peut sembler étrange. Une raison pourrait être la sous-estimation de ce terme. La seconde relation est moins efficace mais plus cohérente physiquement. L’inconvénient majeur est pour ce cas d’application la résolution spatiale de l’information pluie (ici un point tous les 8 km), ce qui peut être insuffisant pour l’estimation en tête de bassin et en secteur très hétérogène, alors que l’ETP est donnée à résolution de 1 km. Il n’y a pas de solution parfaite, il faut forcément expliciter les hypothèses et limites des modèles lors de leur utilisation.
L’absence de données d’ETP explique les relations nationales suggérées par la note technique du Cemagref (1987) :
QA = 0,75 PA + 0,40 ZMOY – 450 formulation réputée valide si le résultat est supérieur à 300 mm ;
QA = (PA /34)5/3(ZMOY/100)1/3 sinon.
Les relations (QA.Cemagref) ont été testées sur le jeu de données de 872 stations de Sauquet et al. (2008), réputées peu influencées par la gestion humaine et par le karst. En parallèle, nous avons ajusté des relations sur les mêmes variables. Il vient :
QA = 1,07 PA – 610,68 (R2 = 0,83) (QA.PA)
QA = 0,11 ZMOY + 0,95 PA – 545,90 (R2 = 0,85) (QA.PA.ZMOY)
Les graphiques ci-dessous montrent la bonne cohérence entre estimations et observations, exprimées en mm/an (QAOBS). Finalement, on obtient des valeurs de RMSRE respectives de 0,44 pour (QA.Cemagref) et 0,31 pour les deux relations (QA.PA) et (QA.PA.ZMOY). Les formules recalées par nos soins sont plus efficaces à l’échelle du territoire ; ceci est logique, elles s’adaptent à nos observations. Néanmoins, des erreurs relatives de 40 % avec (QA.Cemagref) et de 30 % avec les
autres formules sont effectivement possibles. Les pluies et l’orographie sont des facteurs importants de variabilité du module. Ces estimations sont des formules nationales sommaires qui donnent les grandes tendances ; elles doivent être prises comme telles.
La note technique du Cemagref (1987) suggère, si on dispose de longues séries de pluie et de débit (PA*, QA*) en un site de référence drainant une surface S*, une estimation du module en amont de cette station de référence donnée par :
QA = QA* (S /S*) (PA /PA*)2 (QA.S.PA2)
où QA est le module recherché en m3/s, S la surface drainée et PA la pluie moyenne annuelle au point recherché. Ceci signifie que la quantité QA/S/PA2 est un invariant, point à vérifier dans la région où l’on souhaite appliquer cette relation. D’autres déclinaisons sont possibles (cf. travaux actuels à EDF-DTG sur la base de la cartographie des normales de précipitations à 1 km2 produite par Gottardi [2009]).
Nous avons appliqué cette approche considérant QA/S/PA2 comme une constante le long du réseau hydrographique, donnée par la première station rencontrée en aval de la station cible. 571 stations ont une station jaugée parmi les 872 du jeu de données de Sauquet et al. (2008). Ces 571 stations sont, tour à tour, considérées comme stations cibles pour lesquelles une estimation de QA est souhaitée. Le résultat est donné sur la figure suivante . A titre de comparaison, nous avons calculé pour ces 571 stations les valeurs issues de l’application de la formule nationale (QA.PA.ZMOY), exprimées en l/s/km2. La première bissectrice est reportée en rouge.
Les incertitudes induites par (QA.S.PA2) sont légèrement supérieures à celles induites par (QA.PA.ZMOY) (RMSRE = 24 % contre 22 %). Les performances de deux approches sont sensiblement équivalentes. Pour aller plus loin dans l’analyse des incertitudes, nous avons tracé la valeur absolue de l’erreur relative selon les deux méthodes d’estimation en fonction du rapport S*/S qui indique la proximité au bassin aval S*.
L’erreur du modèle d’interpolation ErrRel est faiblement corrélée avec S*/S : IErrRelI = 0,0358 ln(S*/S) + 0,0748 (R2 = 0,07) (courbe tracée en noir) et est cohérente avec ce qui est attendu : plus la station cible est éloignée de la station d’appui, moins l’estimation est pertinente ; cependant, le facteur d’éloignement n’est pas la seule origine des écarts. La corrélation entre S*/S et l’erreur relative de (QA.PA.ZMOY) est en revanche quasiment nulle (R2 = 0,004) (courbe tracée en bleu). Les deux courbes se croisent vers S*/S = 10, pour , la courbe noire est au-dessus de la courbe bleue : il y a intérêt à utiliser l’estimation par extrapolation de QA/S/PA2, pour 10S<S* c’est l’inverse : il y a intérêt à utiliser la formulation nationale (QA.PA.ZMOY). Comme pour la formule du Cemagref
de 1987, des plages d’application à privilégier, ici selon la surface drainée, devraient être distinguées.
3.2. Les méthodes à base d’interpolation
Eléments méthodologiques : certaines techniques fournissent une estimation d’une variable (débit ou coefficients associés) z en un site non jaugé x0 par pondération des valeurs de cette variable observées sur des stations voisines z(xi) sur le domaine étudié :
Où λi désignent les N coefficients de pondération associés aux N observations z(xi).
Une des difficultés réside dans la définition du voisinage. Le plus simple est de le définir géographiquement sur la base d’une distance. Que penser de la définition d’une distance euclidienne entre stations hydrométriques ? Les débits résultent de transformation pluie-débit en amont de la station.
Considérer le point de mesure comme point représentatif du bassin est donc incohérent. En effet, intéressons-nous à deux points en amont immédiat d’une confluence, par exemple, la Saône et le Rhône, à Lyon, avant qu’ils ne se rejoignent. Ces deux points sont très proches géographiquement, mais éloignés vis-à-vis de l’hydrologie : l’un mesure la Saône au régime pluvial et l’autre le Rhône au régime influencé par la neige.
Quelles seraient les conséquences d’une pondération définie par l’inverse de la distance dans la configuration suivante :
Une estimation est souhaitée sur le point identifié par le carré blanc et les sites jaugés sont repérés par un carré vert. Les distances au site non jaugé sont de 20 km et 4 km. Au site non jaugé
Le chiffre obtenu est aberrant (cela impliquerait une perte non négligeable d’eau entre la station amont drainant 10 000 km2 et la station aval). Ce type d’interpolation du fait de la distance conduit bien souvent à des valeurs erronées. Une étude récente de la DREAL Franche Comté l’a bien signalé (Vallaud, 2010). Nous considérons que le recours à l’interpolation avec la distance euclidienne entre exutoires est à exclure.
Une autre solution est de mesurer la proximité entre bassins versant par la distance entre les centres de gravité. Elle est plus adaptée mais reste imparfaite dans certaines configurations du fait de recouvrement des surfaces de bassin. Considérons deux bassins jaugés : la Garonne, à Lamagistère (32 350 km2) et un de ses affluents, le Girou, à Cepet (522 km2).
La station de jaugeage est identifiée par un carré et le centre de gravité du bassin versant par un triangle. Les centres de gravité des deux bassins sont distants de 3.6 km. Selon ce critère, les deux bassins versants sont très voisins. Cependant, les régimes hydrologiques observés sont très différents.
La Garonne reçoit une contribution amont non négligeable des cours d’eau pyrénéens. Le maximum des écoulements est observé en avril ; son régime est qualifié de pluvio-nival selon Pardé (1955). Les variations des débits mensuels moyens du Girou trahissent un régime hydrologique océanique pluvial. Les écoulements annuels sont plus abondants pour la Garonne, à Lamagistère, que pour le Girou, à Cepet.
Pour des bassins relativement éloignés, les valeurs calculées ainsi seront proches de celles de la distance entre centres de gravité. D’un point de vue pratique, ce type de distance est calculé à l’aide d’un système d’information géographique, à partir des coordonnées des pixels qui forment les deux secteurs.
Le choix d’une distance appropriée n’est pas anodin. On peut appliquer une méthode d’interpolation complexe ; cette dernière fournira des résultats moins convaincants si la distance est mal choisie.
Une autre forme d’interpolation est proposée par la note technique du Cemagref (1987) dans une configuration bien précise. Le voisinage est défini par deux stations, une en amont du site cible et la seconde en aval (N = 2). La distance entre deux bassins est mesurée par la surface drainée le long d’un même tronçon hydraulique. L’hypothèse est que l’écoulement augmente au prorata de la surface drainée :
QA = (S – SA)(QAB – QAA)/(SB – SA) + QAA
avec QA en m3/s. Cette estimation est assortie d’une incertitude donnée par :
Il est clair que la formule suggérée n’inclut pas les erreurs dues à la procédure d’interpolation elle-même.
Parmi les autres méthodes qui retiennent le principe d’interpolation spatiale, citons :
- les interpolations inversement proportionnelles à la distance qui sépare xo des N points d’observation xi : les poids sont donnés par :
Il n’y a pas de raison objective pour guider le choix de k ;
- les moyennes régionales simples sur un jeu de N points d’observation formant une région homogène (la distance peut être utilisée comme définissant les frontières de ces régions) ;
- la famille des méthodes stochastiques qui se fondent sur un cadre théorique solide et dont les variantes se différencient principalement par les hypothèses explicites faites sur la variable d’intérêt. Elles présentent l’avantage de laisser les variables s’exprimer librement sans autre intervention. Nous retiendrons la technique du krigeage (Matheron, 1965) qui repose sur l’ajustement d’une fonction décrivant les liaisons spatiales, le variogramme.
Pour obtenir le variogramme, on étudie le carré des écarts entre valeurs en fonction de l’éloignement. Le variogramme est déterminé expérimentalement à partir des observations selon :
où N(d) est le nombre de couples de points distants d’environ d. En pratique (cf. figure ci dessous), on identifie les couples de points distants d’environ d (a), on calcule pour chacun de ces couples les écarts quadratiques divisés par 2 (b) et la moyenne (c). On renouvelle ces opérations autant de fois que nécessaire (d).
En théorie, et dans la version pour l’interpolation des variables ponctuelles (pluie ou température, par exemple), pour que les calculs des pondérations puissent être menés à leur terme, il est nécessaire de faire usage d’un modèle ajusté au variogramme empirique choisi au sein d’une famille assez limitée de fonctions mathématiques. Les modèles autorisés les plus communément rencontrés sont :
Les paramètres descriptifs sont : la portée, la valeur du palier γ et la pépite γo. Ils sont ajustés graphiquement ou plus rarement numériquement pour obtenir la meilleure adéquation au variogramme empirique (e). La portée est la distance au-delà de laquelle la corrélation est supposée nulle entre sites.
Le lien entre paramètre d’échelle et portée dépend du modèle (ainsi, la portée est égale à h pour le modèle sphérique et est atteinte asymptotiquement pour le modèle exponentiel). La pépite doit êtretoujours positive. Une pépite non nulle indique des discontinuités dues à des effets d’échelle locaux autour de la mesure.
Pour le cas d’une variable à support de mesure non ponctuel (par exemple, les débits dont les supports de données sont des surfaces drainées non nulles), la procédure de calage est plus complexe. Au final, nous obtenons également un modèle théorique de variogramme qui est exploité dans autant de systèmes d’équations linéaires que de points pour lesquels une estimation est recherchée et la déclinaison est connue dans la littérature sous le nom de « krigeage de/par bloc » (cf. Skøien et al. [2006] pour les éléments théoriques).
La pratique du krigeage s’est démocratisée (elle devient accessible dans certaines « tool box » de SIG). Cependant, il faut prendre du recul par rapport à ces outils livrés clefs en main pour une application aux débits. Les options proposées par défaut ne sont pas adaptées (la variante « krigeage de/par bloc » n’est pas proposée, ni celle plus critiquable se fondant sur les centres de gravité) : bien souvent, seul le krigeage avec des valeurs rapportées à la station hydrométrique, i.e. distance sur la base des distances entre stations, n’est possible. Des outils sont en cours de développement au Cemagref de Lyon (logiciel Hydrodem, développé Leblois (2010) pour faciliter l’usage du krigeage de/par bloc. L’approche consiste à considérer que le module en rivière est la somme sur le bassin versant d’une production d’écoulement ponctuel (assimilable à P-ETR, qui sont des termes à représentativité ponctuelle). La résolution suit d’évidence mais requiert un prétraitement de la zone d’étude (dont le plan de drainage).
Applications : Sauquet (2005) propose une déclinaison du krigeage garantissant la continuité le long du réseau hydrographique et le traitement du karst. Des relations empiriques QA* entre QA et un ensemble de variables dont une description spatiale sur le domaine étudié est connue sont ajustées sur un découpage en grands secteurs hydrographiques :
QA* = g(X1, X2,... XK)
ε est le résidu de la relation empirique ajustée, estimé sur les sites jaugés par ε = QA – QA*, et est considéré comme un terme correcteur structuré dans l’espace et donc interpolable. La valeur du résidu en sites non jaugés est obtenue par krigeage. Les incertitudes obtenues par validation croisée sont données en mm par gamme de surface. Nous retrouvons une erreur médiane de 10 % de la lame d’eau à l’échelle du territoire toute gamme de surface considérée.
Signalons que Riffard (2010) a choisi une approche similaire sans toutefois aller jusqu’au krigeage.
La méthode consiste à regrouper un certain nombre de bassins situés dans le voisinage immédiat de la station cible, d’établir une relation empirique et d’introduire non pas un terme correctif additif mais multiplicatif : QA = QA*xε avec QA* = g(X1, X2,...,Xk).
Carte des modules sur la période 1981-2000 (extrait de Sauquet (2005)(4)
Nous avons souhaité vérifier la performance de la méthode par interpolation selon la surface de la note de 1987. Un sous-échantillon des 872 stations de Sauquet et al. (2008) formé des stations positionnées entre deux stations hydrométriques (365 sur les 872) a été constitué. La procédure d’interpolation a été appliquée. Nous avons repris les mêmes représentations que pour l’analyse des résultats de (QA.S.PA2) : représentation des estimations en fonction des observations pour la
méthode d’interpolation et pour la formulation (QA.PA.ZMOY) .
En rouge est tracée la première bissectrice.
Les deux approches présentent des incertitudes équivalentes (RMSRE = 0,19 %). Comme pour la méthode d’extrapolation en amont (QA.S.PA2), nous avons examiné si l’erreur de reconstitution est dépendante de la proximité entre station cible et une des stations aux extrémités du tronçon (A ou B). Cette proximité est quantifiée par le recouvrement de surface entre la station cible et une des deux stations aux extrémités A ou B, i.e. le minimum des rapports S/SA et SB/S, toujours supérieur à 1 (Rmin). Nous avons donc tracé la valeur absolue de l’erreur relative selon les deux méthodes d’estimation en fonction Rmin. L’erreur du modèle d’interpolation est faiblement corrélée Rmin :
IErrRelI = 0,0851 ln(Rmin) + 0,0646 (R2 = 0,11) (courbe tracée en noir).
Le recouvrement est un facteur explicatif de l’erreur commise, mais n’est pas prédominant. Ici encore : plus la station est éloignée des extrémités, moins l’interpolation est pertinente.
Il n’y a pas de corrélation entre Rmin et l’erreur relative de (QA.PA.ZMOY) (R2 = 0,004) (courbe tracée en bleu). Les deux droites de régression se croisent vers 2,7, pour Rmin ≥ 2,7 la courbe noire est au-dessus de la courbe bleue : l’estimation par interpolation est plus performante, pour Rmin < 2,7 l’inverse est observé : la formulation nationale (QA.PA.ZMOY) doit être privilégiée.
3.3. Les méthodes à base de modélisation pluie-débit
Une dernière possibilité est offerte par la modélisation pluie-débit. Plutôt que d’estimer une caractéristique du régime hydrologique, l’objectif est de reconstituer des chroniques de débit à l’aide de modélisations distribuées conceptuelles ou physiques en tout point du territoire.
L’approche à base de modèles conceptuels requiert d’abord une phase de calage sur des observations réparties sur le territoire, puis une opération de régionalisation qui concerne non plus directement les écoulements, mais les données d’entrée et les paramètres internes de la transformation pluie-débit. Une des difficultés est de régionaliser des paramètres conceptuels, indirectement liés aux débits, qui n’ont pas de signification physique immédiate (il n’est pas aisé d’expertiser les relations empiriques établies). En outre, plusieurs jeux de paramètres peuvent conduire à une efficacité comparable sur un même site jaugé ; le problème d’équifinalité peut perturber la phase d’identification de variables auxiliaires (surtout pour des modèles sur-paramétrés). Une approche à base de relations empiriques est mise en oeuvre malgré tout (Servat et Dezetter, 1995 ; Fernandez et al., 2000, Merz et Blöschl, 2005).
Pour les modèles à base physique, aucune donnée de calage n’est nécessaire. Ils restent difficiles à mettre en oeuvre : l’obtention des paramètres physiques requiert une connaissance détaillée du terrain au travers de campagnes ou d’instrumentations ou d’une base de données environnementales conséquentes et de nombreuses données d’entrée décrivant les forçages météorologiques sont nécessaires.
L’inconvénient est que la méthode n’est pas optimisée pour estimer le débit caractéristique, c’est bien la chronique qui est la cible. On peut comprendre ainsi que Engeland et al. (2006) jugent la méthode à base statistique plus performante que celle exploitant le modèle conceptuel HBV.
En France, la démarche à base conceptuelle est représentée par le logiciel LOIEAU (Folton et Lavabre, 2006, 2007). LOIEAU propose de calculer les chroniques de débits mensuels datés sur les stations hydrométriques grâce à un modèle à deux paramètres basé sur GR2M (Michel et Makhlouf, 1994). Il permet d’accéder de façon dynamique au module et au débit QMNA5, à partir d’une analyse statistique des chroniques. Ceci est possible pour l’ensemble des cours d’eau d’une zone géographique, pour laquelle les deux paramètres du modèle ont été préalablement régionalisés. Les zones géographiques pour lesquelles LOIEAU est actuellement opérationnel : le bassin Adour-Garonne, la quasi-totalité du bassin Rhône-Méditerranée-Corse, l’amont du bassin Loire-Bretagne et le bassin de la Seine-Normandie. Pour obtenir des estimations en sites non jaugés, des cartes des paramètres ont été élaborées en s’appuyant sur différents descripteurs (occupation du sol, couverture sol et altitude) et sur la base de l’interprétation physique des paramètres du modèle.
4. Conclusion et perspectives
Ce document n’a pas la prétention d’être exhaustif. Il présente un certain nombre d’approches possibles pour l’estimation des modules, en « complétant » des séries courtes ou par interpolation à partir d’un jeu d’observations. Différentes applications sont proposées à l’échelle nationale, elles donnent une idée sur les performances des approches. Les conclusions ne sont pas définitives sur leur rang. Si on souhaite une application dans un secteur plus réduit, il faut de nouveau optimiser les méthodes et les comparer sur des débits affranchis des effets d’échelle spatiale (c’est-à-dire en l/s/km2 ou mm) ou sur la base des erreurs relatives, sinon le risque est de privilégier l’estimation/l’adéquation des forts débits au détriment des petits débits. Aucune méthode ne peut prétendre être universelle. Les contextes climatiques et hydrologiques sont divers et les hétérogénéités peuvent compromettre l’efficience d’une méthode plutôt qu’une autre, si la première est de fait moins souple d’application.
Le seul moyen objectif de valider est de se placer artificiellement dans une configuration non jaugée. La validation croisée permet de le faire. Elle consiste à exclure tour à tour une ou un ensemble de station(s) parmi les N de l’échantillon initial, puis de proposer une estimation sur le(s) bassin(s) exclu(s) à partir du jeu de stations restantes. Ainsi, on mesure la capacité à estimer en extrapolation spatiale. L’analyse de performance ne doit pas portée uniquement sur le seul coefficient de corrélation, mais sur des notions d’erreurs relatives (plus concrètes). Dans une perspective de comparaison objective, il faut, si possible, tester les méthodes dans les mêmes conditions.
Outre l’analyse de performance, un regard sur la continuité des écoulements peut être révélateur d’incohérences hydrologiques. Le module exprimé en m3/s est additif le long du réseau hydrographique : les débits en amont d’une confluence se cumulent pour donner les débits en aval, sauf dans les systèmes karstiques (où un regard sur les pertes/résurgences est indispensable pour établir des bilans). Cette propriété valide en temps courant se transmet sur les débits moyens annuels et mensuels. Elle doit se retrouver dans les cartes produites.
Il faut veiller à travailler sur des données réajustées climatiquement si les séries sont courtes (durée inférieure à dix-huit ans). En travaillant sur des périodes d’observation différentes – parfois même disjointes –, il y a un risque de représenter une variabilité temporelle plutôt qu’un effet spatial. Par conséquent, il est exclu de manipuler des variables hydrologiques extraites de chroniques non concomitantes. Il faut donc homogénéiser la période d’étude en visant la plus longue.
Il ne faut pas hésiter à incorporer des stations hydrométriques en périphérie immédiate dans les différentes procédures, cela permet de mieux « borner » les estimations à la frontière des bassins versants.
Cette note ne propose pas une méthode à appliquer et ne prétend pas à l’exhaustivité. Le document s’est concentré sur les approches à base de formulations empiriques, car elles sont faciles à mettre en oeuvre. D’autres approches sont possibles, sous réserve que soient précisées les limites et incertitudes les concernant.
Des techniques de régionalisation sont encore en développement ou testées, notamment au Cemagref, dans le cadre de convention de recherche avec l’ONEMA et l’agence Seine-Normandie.
Pour ce dernier secteur, trois équipes du Cemagref ont appliqué des méthodes d’estimation différentes (deux d’origine statistique et la troisième s’appuyant sur LOIEAU). L’objectif annoncé est de comparer la performance des techniques et de consolider les estimations en construisant une carte de consensus (par « pondération » des valeurs estimées par chaque méthode, selon les incertitudes pesant sur les estimations). L’idée est de valoriser les avantages de chaque méthode là où elle s’exprime. Le rapport final a été produit, il est en cours de diffusion.
A titre d’illustration, les incertitudes mesurées par validation croisée sur les trois méthodes sont données dans la figure suivante (chaque point est un bassin jaugé, l’estimation est faite sur la base de l’information extraite des autres stations, la droite en pointillés est la première bissectrice, la droite de corrélation est tracée en couleur en traits pleins) :
Bibliographie
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Annexe 4 : Note méthodologique de caractérisation d’un cours d’eau présentant un fonctionnement atypique au sens du 1° de l’article R. 214-111 du code de l’environnement
Auteurs : Dominique BARIL, Jean-René MALAVOI, ONEMA Johann MOY, MEDDTL
1. Le 1° de l’article R. 214.111 du code de l’environnement : cinq concepts à expliciter
L’article L. 214-18 mentionne en son I que pour « les cours d’eau ou sections de cours d’eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d’un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure ».
L’article R. 214-111 du code de l’environnement modifié par le décret n° 2007-1760 du 14 décembre 2007 définit la notion de cours d’eau ou section de cours d’eau présentant un fonctionnement atypique au cas n° 1 comme suit :
Doit être regardé comme présentant un fonctionnement atypique au sens du I de l’article L. 214-18 le cours d’eau ou la section de cours d’eau entrant dans l’un des cas suivants :
1° Son lit mineur présente des caractéristiques géologiques qui sont à l’origine de la disparition d’une part importante des écoulements naturels à certaines périodes de l’année.
Les concepts sont explicités dans l’ordre où ils apparaissent dans le décret.
Doit être regardé comme présentant un fonctionnement atypique au sens du I de l’article L. 214-18 le cours d’eau ou la (1) section de cours d’eau entrant dans l’un des cas suivants :
« 1° Son lit mineur présente des (2) caractéristiques géologiques qui sont à l’origine de la disparition d’une (3) part importante des (4) écoulements naturels à (5) certaines périodes de l’année.
1.1. Concept de « section de cours d’eau »
En hydraulique et en hydromorphologie, le terme de section désigne généralement un profil en travers du cours d’eau, le terme de section de cours d’eau est donc à interpréter comme portion ou tronçon de cours d’eau.
Remarques importantes :
Dans les deux cas de figure suivants, le tronçon à considérer revêt deux notions distinctes.
Dans le cas d’un ouvrage en projet de construction, cette notion de tronçon fait référence à un tronçon homogène de cours d’eau issu de la sectorisation hydromorphologie.
Dans le cas d’un ouvrage existant, le tronçon à considérer est le tronçon court-circuité subissant des assecs.
1.1.1. Ouvrage à construire
La définition du fonctionnement atypique doit être établie par tronçon de cours d’eau homogène, quant à ses caractéristiques hydrologiques, hydrauliques, géomorphologiques, et biologiques.
Le tronçon est, en effet, le niveau élémentaire de fonctionnement de la dynamique fluviale et plus particulièrement, l’échelle de réponse des processus hydromorphologiques aux contraintes des structures géomorphologiques et au régime hydrologique.
Cette notion de tronçon fait référence aux travaux du CEMAGREF de sectorisation hydromorphologique (1) déjà utilisée dans le cadre du développement du Système relationnel d’audit de l’hydromorphologie des cours d’eau ainsi que lors de l’application du décret no 2008-283 du 25 mars 2008 relatif aux frayères et aux zones de croissance ou d’alimentation de la faune piscicole et modifiant le code de l’environnement.
Parmi les variables de contrôle de la morphologie fluviale, quatre caractéristiques hydromorphologiques ont été retenues :
- la largeur du fond de vallée alluvial ;
- la forme du fond de vallée ;
- l’hydrologie ;
- la nature du substrat.
Le linéaire concerné subissant naturellement des disparitions doit correspondre a minima à 80 % du tronçon homogène de cours d’eau en question.
Exemple : sur ce tronçon homogène, si au moins 80 % du linéaire subit des disparitions
alors le tronçon peut être candidat au fonctionnement atypique.
Sur la figure suivante, le tronçon est concerné par un linéaire de « disparition » de l’écoulement d’une dizaine de kilomètres. A l’amont du tronçon, l’écoulement de surface est présent et à son aval l’écoulement de surface réapparaît définitivement.
(1) Valette, L., Chandesris, A., Mengin, N., Malavoi, J.R., Souchon, Y., Wasson, J.G. – 2008. Système relationnel d’audit de l’hydromorphologie des cours d’eau Syrah CE. Principes et méthodes de la sectorisation hydromorphologique. 27 p. http://cemadoc.cemagref.fr/cemoa/PUB00025844.
Figure 1 : concept de tronçon de cours d’eau atypique (linéaire de disparition en rouge).
1.1.2. Ouvrage existant
Dans le cas présent, la définition du tronçon de cours d’eau candidat au fonctionnement atypique doit être établie sur le tronçon court-circuité subissant des disparitions.
Exemple : zones refuges représentant moins de 20 % du linéaire du tronçon court-circuité subissant des disparitions
Le tronçon court-circuité peut être candidat au fonctionnement atypique si au moins 80 % de son linéaire subit des disparitions.
Le linéaire subissant des disparitions doit correspondre a minima à 80 % du tronçon court-circuité.
1.2. Concept de « caractéristiques géologiques »
Il existe à notre sens deux grandes familles de caractéristiques géologiques pouvant conduire à qualifier d’atypique le fonctionnement d’un secteur de cours d’eau au sens du décret :
Des caractéristiques « purement » géologiques, liée à la nature du substratum sous-jacent au cours d’eau et/ou à sa modification par des phénomènes tectoniques : on trouve ainsi le karst et sesréseaux souterrains, les réseaux de failles et diaclases (Figure 2), tunnels de lave, etc.
Figure 2 : la disparition, sur près de 15 km, de l’écoulement d’étiage de l’Albarine (01) dans un réseau de failles à son entrée dans la basse plaine de l’Ain
Caractéristiques hydromorphologiques : forte épaisseur d’alluvions très perméables C’est, par exemple, le cas de la rivière des Remparts (La Réunion), dont le fond de vallée est remblayé par une très grande épaisseur d’alluvions grossières.
Figure 3 : la disparition de l’écoulement dans les alluvions fluviatiles de la rivière des Remparts (La Réunion). Attention : il ne s’agit pas d’un oued : il y a bien un écoulement superficiel en amont et en aval de la zone de « disparition ».
1.3. Concept de « part importante »
La part importante du débit peut être fixée à 80 % de la valeur du débit moyen de la période de référence. Le débit de la période de référence est alors le débit moyen des trois débits moyens mensuels consécutifs les plus bas estimés en amont de la zone de disparition dans des conditions naturelles.
1.4. Concept « d’écoulements naturels »
En l’absence d’intervention anthropique sur un cours d’eau ou son bassin versant, tous les écoulements peuvent être considérés comme naturels.
Dans le cas de prélèvements anthropiques avérés, il est nécessaire de reconstituer le débit moyen inter-annuel (module) en prenant en compte les prélèvements d’eau en amont.
1.5. Concept « de période de l’année »
La période est celle retenue pour l’estimation du débit de référence. Afin de retenir une période suffisamment longue permettant d’intégrer la composante étiage du régime hydrologique, elle peut être définie comme la période correspondant aux trois mois consécutifs de plus bas débit. Conformément au 4.4.1. de la présente circulaire, il conviendra en cas de caractérisation d’un cours d’eau en fonctionnement atypique, de maintenir un débit minimal suffisant lors des autres périodes de
l’année afin de conserver, lorsqu’elle existe, l’aptitude du milieu aquatique à permettre la croissance et la reproduction des espèces présentes ainsi qu’à garantir la continuité écologique.
2. Protocole permettant de qualifier le fonctionnement atypique d’un cours d’eau ou section de cours d’eau
3. Détermination du débit à maintenir au droit ou à l’aval de l’ouvrage
3.1. Ouvrage à construire
1. Réalisation de tests à différentes valeurs croissantes de débit naturel in situ (exprimé en pourcentage de module naturel).
2. Vérification pour le cours d’eau ou de la section de cours d’eau présentant un fonctionnement atypique, des conditions suivantes :
- maintien d’un écoulement hyporhéique suffisant ;
- maintien de l’alimentation de zones humides éventuellement présentes ;
- garantie de l’intégrité biologique des « zones refuges » dans le tronçon candidat au fonctionnement atypique ;
- les zones situées immédiatement en aval de la portion de cours d’eau en fonctionnement atypique conservent un débit leur permettant de satisfaire les obligations de résultats du I de l’article L. 214-18 CE, à savoir de « garantir en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux ».
3. La première valeur de débit remplissant ces conditions détermine la valeur de débit réservé à fixer.
La valeur de débit réservé à fixer peut donc être inférieure ou supérieure au plancher du 1/10 du module si nécessaire puisque celle-ci n’est pas pertinente.
3.2. Cas d’un ouvrage existant
1. Réalisation de phases tests par lâcher à différentes valeurs croissantes de débit réservé (exprimé en pourcentage du module dans la limite du double du plancher du 1/10 du module).
2. Vérification du maintien de l’intégrité biologique du tronçon (zones refuges si existantes) et respect du L. 214.18 pour les tronçons de cours d’eau aval non atypique (par exemple, l’absence d’affluents intermédiaires).
3. La première valeur de débit remplissant ces conditions détermine la valeur de débit réservé à fixer dans la limite du double de la valeur plancher au 1/10 du module.
4. Si les conditions décrites à l’alinéa 2 ne sont pas remplies avec des valeurs de débit réservé comprises entre la valeur plancher du 1/10 et le double de cette valeur plancher alors le débit réservé à fixer peut être inférieur au 1/10.
La valeur de débit réservé à fixer peut donc être inférieure au plancher du 1/10 du module ou supérieure, mais dans la limite du double de ce plancher.
4. Eléments constitutifs de l’étude, à charge du pétitionnaire, de détermination d’un cours d’eau ou d’une section de cours d’eau candidat au caractère atypique
4.1. Sectorisation
Sectorisation du bassin versant.
Délimitation du tronçon concerné par le fonctionnement atypique d’après la sectorisation hydromorphologique.
Localisation des zones d’infiltration avec cartographie des linéaires à sec (succession des linéaires à sec et en eau).
Linéaire (tronçon ou portion comme explicité au 1.1.) proposé comme présentant un fonctionnement atypique.
4.2. Nature géologique du lit
Détermination préalable de la nature géologique à l’origine de la disparition.
4.3. Mesures hydrométriques
Reconstitution du régime hydrologique en amont et, si possible, en aval du tronçon présentant un fonctionnement atypique.
Localisation et quantification des éventuels apports intermédiaires.
Mesure des taux d’infiltration pour différents débits (1/10 du module, module...).
Détermination du débit à partir duquel la continuité hydraulique se rétablit complètement.
Réalisation du profil hydrométrique longitudinal :
a) Pour les ouvrages existants, un à plusieurs débits tests seront délivrés en aval immédiat du barrage correspondant ou s’approchant du débit de référence (moyenne interannuelle des débits moyens mensuels des trois mois les plus secs) avec une durée préalable de délivrance du débit d’au moins quarante-huit heures, voire supérieure, selon le linéaire et la nature de la perte.
b) En absence d’ouvrage, réalisation a minima du test avec le débit de la période de références (moyenne interannuelle des débits moyens mensuels des trois mois les plus secs).
Points de mesures pour le profil hydrométrique :
a) Amont barrage.
b) Débit aval immédiat barrage.
c) Débit en des points intermédiaires jusqu’à la limite aval tronçon incluant les points de confluence des principaux apports latéraux (affluents).
d) Débit restitution aval tronçon ou portion supposée atypique.
(1) Arrêté du 25 janvier 2010 relatif aux méthodes et critères d’évaluation de l’état écologique, de l’état chimique et du potentiel écologique des eaux de surface pris en application des articles R. 212-10, R. 212-11 et R. 212-18 du code de l’environnement.
4.4. Conditions morphologiques
Géomorphologie du cours d’eau (pente moyenne, transects, section mouillée, granulométrie du substrat, colmatage éventuel).
Succession et proportions des faciès d’écoulement en période de continuité hydraulique et en période de débit de référence (moyenne interannuelle des débits moyens mensuels des trois mois les plus secs).
4.5. Paramètres physico-chimiques
Profil thermique longitudinal en période de bas débit.
4.6. Paramètres biologiques
Echantillonnage des paramètres biologiques dans des conditions de débit proches du débit de référence en aval et en amont du tronçon ou portion considérée comme ayant un fonctionnement atypique et, le cas échéant, dans les zones de ce tronçon restant en eaux (zones refuges) :
a) Macro-invertébrés benthiques : protocole IBDCE en période de continuité hydraulique et en période de débit de référence.
b) Ichtyofaune : échantillonnage en prospection complète ; composition spécifique (espèces à statut de protection) avec abondances et structures de classes d’âge.
4.7. Fonctionnalités
Evaluation des fonctionnalités du milieu en conditions de débit de référence (débit des trois mois les plus secs), en conditions moyennes de débit moyen interannuel afin d’intégrer les périodes de mise en eau favorables à la reproduction.
Quantification de l’importance des zones de croissance et d’alimentation et rôle des zones refuges.
Recensement des zones de frayères.
Prises en compte des exigences de continuité écologique de certaines espèces, saisonnalité et durée de la continuité hydraulique (importance de la continuité hydraulique pour les migrateurs amphihalins).
Caractérisation des connectivités latérales.
4.8. Etat écologique de la masse d’eau sur laquelle se trouve la section de cours d’eau atypique
Evaluation de l’état écologique conforme à la directive cadre sur l’eau en application de l’arrêté du 25 janvier 2010 (1).
Objectifs et délais.
Dérogation d’objectifs, le cas échéant.
4.9. Eléments socio-économiques
Principaux usages en amont et, en aval, du secteur.
Caractéristiques de l’usage directement concerné par la demande et, le cas échéant, gestion actuelle.
Linéaire de cours d’eau influencé par l’usage et position par rapport au tronçon à fonctionnement atypique.
Gestion future envisagée.
Annexe 5 : Eléments constitutifs du suivi écologique du débit minimum biologique
Paramètres biologiques
Continuité piscicole ;
- suivi de l’efficacité des ouvrages de franchissement à la montaison (conformité, attractivité, piégeage pour les grands migrateurs...) ;
- suivi de l’efficacité des dispositifs de dévalaison, diagnostic courantologie (vitesses au plan de grille, guidage vers exutoire de dévalaison...) ;
- vérification de la franchissabilité du TCC.
Ichtyofaune :
Suivi piscicole par réalisation d’inventaires piscicoles sur les stations de l’état initial dans et hors du tronçon court-circuité à la même période (celle où le recrutement de l’année est mesurable) et dans un délai tel que l’espèce repère ait pu accomplir un cycle biologique complet (de trois à quatre ans pour les populations salmonicoles, jusqu’à six ans pour les populations de cyprinidés d’eaux vives. Deux campagnes d’études annuelles peuvent être nécessaires.)
Caractéristiques habitationnelles :
- évolution des abris en berges et sous-berges (nature et importance relative) dans le TCC ;
- caractérisation et dénombrement des zones de frayères réelles dans le TCC en référence à l’état initial ;
- évolution des surfaces pondérées utiles avec la méthode des micro-habitats.
Invertébrés :
Suivi des stations de prélèvements de macroinvertébrés avec approche quantitative (deux stations au minimum sur deux à trois campagnes) trois ans après la mise en service.
Végétation aquatique :
- évolution des macrophytes (nature, abondance, pourcentage de recouvrement) en comparaison à l’état initial ;
- indice diatomique.
Paramètres hydromorphologiques
Régime hydrologique :
- suivi hydrologique d’une durée d’au moins cinq années par aménagement d’une station hydrométrique, en aval de la prise d’eau, en vue de préciser la valeur du débit moyen interannuel et d’évaluer les débits de surverse ;
- connaissance des événements de type crue à effet morphogène et de celles susceptibles de conditionner le recrutement en juvéniles en cas de suivi des populations piscicoles ;
- fiabilité du dispositif de restitution du débit minimal.
Conditions morphologiques :
- suivi du profil en long, en aval de l’ouvrage de prise d’eau, en cas de risque d’affouillement, trois ans après sa mise en service ;
- évolution de la ripisylve ;
- phénomènes de colmatage du substrat dans le TCC ;
- évolution de la granulométrie dans le TCC (ensablement, envasement, atterrissement, pavage...).
Paramètres physico-chimiques
Suivi de la température, de l’oxygène et de la turbidité, en amont et dans le TCC, dès la mise en service de l’ouvrage, et ce pendant au moins cinq ans.