Le ministre de l'environnement à

Mesdames et Messieurs les préfets, Monsieur le préfet de police

P/J : Jugements du tribunal administratif de Caen en date des 10 janvier 1995 et 24 septembre 1996

J'ai l'honneur de vous communiquer ci-joint copie du jugement du 10 janvier 1995 par lequel le tribunal administratif de Caen a mis à la charge de l'Etat 40% du préjudice subi par un éleveur dont l'autorisation avait été annulée par un jugement antérieur en raison de la faible distance séparant l'exploitation d'une habitation occupée par des tiers. Par jugement prononcé le 24 septembre 1996 après expertise, le tribunal administratif a condamné l'Etat à payer à cet éleveur la somme de 402 511,60 F en réparation du préjudice résultant pour lui de la faute commise par l'autorité administrative dans l'application de la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement.

Le taux important de la responsabilité incombant à l'Etat s'explique par le fait que, bien que l'étude d'impact n'ait pas mentionné la présence des habitations situées à proximité de la porcherie en cause, cette omission entachant l'étude d'impact n'avait pas eu pour effet d'induire l'administration en erreur dès lors que le préfet avait par ailleurs connaissance de l'existence de ces habitations.

En effet, la maison la plus proche de l'élevage avait été cédée par l'exploitant à un tiers qui avait déclaré dans l'acte de vente accepter l'exploitation de la porcherie. Cette circonstance de fait avait été évoquée devant le conseil départemental d'hygiène qui l'avait prise en considération pour rendre un avis favorable à l'octroi de l'autorisation.

Cependant, conformément à une jurisprudence constante, une convention conclue entre un éleveur et ses voisins voit sa portée limitée aux seules parties cocontractantes, et n'est donc pas opposable aux tiers à ce contrat. Dès lors, l'association requérante - en sa qualité de tiers au contrat - était recevable à invoquer devant le juge administratif le non-respect d'une prescription destinée à assurer la sauvegarde des intérêts protégés par la loi du 19 juillet 1976.

Pour des motifs tenant à la sécurité juridique, je vous serais obligé de veiller à ne pas délivrer d'autorisation d'exploiter des élevages situés, par rapport à des bâtiments occupés par des tiers, à des distances inférieures à celles prévues par la réglementation en vigueur, quand bien même l'exploitant aurait conclu un accord avec ces tiers.

Annexe I : Tribunal administratif de Caen (2ème chambre) (Calvados, Manche, Orne)

Jugement lu le 10 janvier 1995

G.A.E.C. du Vieux Bougy

N° 93862

Vu la requête enregistrée au greffe le 23 juin 1993 sous le no 93862, présentée pour le G.A.E.C. du Vieux Bougy, sis à Hiéville 14170 Saint-Pierre-sur-Dives, tendant à ce que le tribunal administratif condamne l'Etat à lui verser la somme de 2 000 000 F, sous réserve d'une expertise comptable, avec intérêts de droit à compter du 29 juillet 1992 pour l'avoir illégalement autorisé à exploiter une porcherie, et à lui verser la somme de 8 000 F au titre de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel;

..................................................

Vu l'ensemble des autres pièces produites et jointes au dossier;

Vu l'ordonnance de clôture d'instruction en date du 13 septembre 1994;

Vu la loi du 19 juillet 1976, modifiée;

Vu le décret du 21 septembre 1977, modifié;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel;

Après avoir entendu à la séance publique du 13 décembre 1994, les parties ayant été régulièrement averties :

M. DI PALMA, Conseiller,

en son rapport,

M. PFLIEGER, cogérant du G.A.E.C. du VIEUX BOUGY,

en ses observations,

M. DELEVALLÉ, Commissaire du Gouvernement,

en ses conclusions,

Et en avoir délibéré;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Considérant que le G.A.E.C. du Vieux Bougy avait obtenu, par arrêté du préfet du Calvados du 16 mars 1987, l'autorisation d'exploiter une porcherie de 698 animaux sur le territoire de la commune de Mittois ; que cet arrêté a été annulé par un jugement du tribunal administratif du 28 novembre 1989, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en date du 26 juillet 1991, au motif que, compte tenu de la faible distance séparant ladite porcherie des habitations avoisinantes, cette installation ne pouvait être exploitée selon les modalités retenues, quelles que soient les prescriptions techniques qui pourraient lui être imposées, sans inconvénient ou nuisance grave pour le voisinage et l'environnement; qu'au demeurant, il résulte de l'instruction que tant le commissaire enquêteur que le comité départemental d'hygiène avaient souligné, dans le cadre de la procédure d'instruction, la présence d'habitations appartenant à des tiers à moins de 100 m du projet ; que la responsabilité de l'Etat est, dès lors, engagée pour avoir accordé irrégulièrement l'autorisation dans ces conditions;

Considérant, toutefois, qu'il résulte de l'instruction que l'étude d'impact produite par l'exploitant à l'appui de sa demande d'autorisation ne faisait pas état de la présence de ces habitations et ne pouvait, de ce fait, être regardée comme présentant une analyse suffisante de l'état initial du site et de son environnement ainsi que lui en faisaient obligation les dispositions législatives et réglementaires susvisées; que, par ailleurs, ledit exploitant n'a pas jugé utile, ainsi que le relève le préfet, de faire fonctionner son exploitation sous le régime de la déclaration, du mois d'octobre 1991 au mois de mai 1993, alors que ce régime lui aurait permis d'élever un nombre d'animaux sensiblement supérieur à celui qu'il a élevé pendant cette période; que, compte tenu de ces différents éléments, la responsabilité du requérant est également engagée; que, dans les circonstances de l'affaire, il sera fait une juste appréciation des responsabilités ainsi encourues en mettant à la charge de l'Etat 40 % du préjudice réellement subi par le G.A.E.C. du Vieux Bougy;

Sur le préjudice

Considérant que le G.A.E.C. du Vieux Bougy a estimé que le préjudice qu'il a subi du fait de la délivrance d'une autorisation illégale s'élève à la somme de 2 000 000 F ; que le préfet du Calvados conteste cette évaluation en faisant notamment valoir que les pertes en investissement alléguées doivent être réduites, que les subventions versées et les bénéfices réalisés par l'exploitant ou qu'il aurait pu réaliser en gérant sainement son entreprise doivent être pris en compte; qu'en l'état de l'instruction, le tribunal ne dispose pas d'éléments suffisants lui permettant de déterminer le montant du préjudice réellement subi par le requérant ; que, par suite, il y a lieu, avant de statuer sur l'indemnité demandée par le G.A.E.C. du Vieux Bougy, d'ordonner une expertise aux fins précisées ci-après;

DECIDE :

Article 1er : L'Etat est déclaré responsable à hauteur de 40 % du préjudice direct et certain subi par le G.A.E.C. du Vieux Bougy.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la demande d'indemnité du G.A.E.C. du Vieux Bougy, procédé à une expertise en vue de déterminer :

1) le coût exact de l'installation telle qu'autorisée par l'arrêté du 16 mars 1987;

2) la part de ces investissements qui a permis :

a) la continuation de l'exploitation sous le régime du règlement sanitaire départemental;

b) la reprise d'activité sous le régime de la déclaration au titre de la législation sur les installations classées;

3) le bénéfice réalisé depuis l'autorisation jusqu'à la cessation d'exploitation dans le cadre de cette autorisation;

4) les bénéfices moyens qu'il aurait pu réaliser, s'il avait, dès octobre 1991 et jusqu'en mai 1993, décidé de faire fonctionner son installation dans les conditions actuelles, c'est-à-dire sur le fondement d'une déclaration au titre des installations classées, en se fondant sur le cours moyen du porc et le prix moyen des coûts d'entretien et d'élevage pendant la période en cause;

5) le montant des subventions allouées;

et d'apporter au tribunal toute autre précision utile, notamment comptable ou financière, lui permettant d'apprécier la réalité du préjudice.

Article 3 : L'expert sera désigné par ordonnance du président du tribunal. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R 159 à R 170 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Article 4 : L'expert, préalablement à toutes opérations, prêtera serment dans les formes prévues à l'article R 160 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Article 5 : L'expert devra avertir le G.A.E.C. du Vieux Bougy et la préfecture du Calvados par lettre recommandée avec accusé de réception 4 jours au moins avant le début des opérations d'expertise. Son rapport sera déposé au greffe en trois exemplaires dans un délai de quatre mois.

Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent jugement, et notamment la charge des dépens, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 7 : Le présent jugement sera notifié au G.A.E.C. du Vieux Bougy, au ministre de l'environnement et à l'expert.

Annexe II : Tribunal administratif de Caen (2ème chambre)

Jugement lu le 24 septembre 1996

G.A.E.C.

du Vieux Bougy

N° 93862

Vu, dans l'instance pendante entre le GAEC du Vieux Bougy, d'une part, et l'Etat (ministre de l'environnement), d'autre part, le jugement du tribunal en date du 10 janvier 1995 déclarant l'Etat responsable à hauteur de 40 % du préjudice direct et certain subi par le GAEC du Vieux Bougy, et ordonnant une expertise avant de déterminer les préjudices subis;

..................................................

Vu, enregistré le 16 novembre 1995, le mémoire présenté pour le GAEC du Vieux Bougy tendant à ce que le tribunal :

- condamne l'Etat à lui verser la somme de 402 512,56 F avec intérêts de droit à compter du 29 juillet 1992, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés en application de l'article 1154 du code civil,

- condamne l'Etat à lui verser la somme de 8 000 F en application de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel,

..................................................

Vu l'ensemble des autres pièces produites et jointes au dossier;

Vu le code civil;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel;

Après avoir entendu à la séance publique du 10 septembre 1996, les parties ayant été régulièrement averties :

Mme ROUSSAUX, Président,

en son rapport,

M. DI PALMA, Commissaire du Gouvernement,

en ses conclusions,

Et en avoir délibéré;

Considérant que par jugement en date du 10 janvier 1995 l'Etat a été déclaré responsable à hauteur de 40 % du préjudice direct et certain subi par le GAEC du Vieux Bougy à la suite de l'annulation de l'autorisation d'exploiter une porcherie qui lui avait été délivrée le 16 mars 1987;

Sur le préjudice :

Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise déposé le 13 octobre 1995, que le préjudice direct et certain subi par le GAEC du Vieux Bougy, et non sérieusement contesté, s'élève à 1 006 279,47 F dont 968 489,62 F au titre des investissements, 135 135F, au titre de l'activité pour 1991-1993 desquels il y a lieu de déduire 112 067,75 F pour l'activité 1988-1991 et la somme de 108 598 F au titre des subventions, et de rajouter la somme de 123 320,60 F au titre des intérêts financiers ; qu'en conséquence il y a lieu de condamner l'Etat à payer au GAEC du Vieux Bougy la somme de 402 511,60F (40 % de 1 006 279,47 F) ;

Sur les intérêts

Considérant que le GAEC du Vieux Bougy a droit aux intérêts de la somme de 402 511,60F à compter du 29 juillet 1992, date de réception par la préfecture du Calvados de sa demande préalable;

Sur les intérêts des intérêts :

Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 16 novembre 1995 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande;

Sur l'application de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel:

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à payer au GAEC du Vieux Bougy la somme de 4 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens;

Sur les frais d'expertise :

Considérant que les frais d'expertise tels que liquidés et taxés par ordonnance en date du 17 octobre 1995 et s'élevant à la somme de 34 736,12 F doivent être mis à la charge de l'Etat;

DECIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser au GAEC du Vieux Bougy la somme de 402 511,60 F avec intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 1992. Les intérêts échus le 16 novembre 1995 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : L'Etat paiera au GAEC du Vieux Bougy la somme de 4 000 F au titre de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Article 3 : Les frais de l'expertise s'élevant à 34 736,12 F sont mis à la charge de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Expédition du présent jugement sera notifiée au GAEC du Vieux Bougy, au ministre de l'environnement et à l'expert.

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