(BOMELT n° 59-93/1 du 20 janvier 1993)


 

1. Contexte général

La loi du 3 janvier 1992 sur l'eau a pour objet une gestion équilibrée de la ressource en eau visant à assurer la préservation des écosystèmes aquatiques et des zones humides, la protection et la restauration de la qualité des eaux, le développement, la protection quantitative, la valorisation et la répartition de la ressource en eau, de manière à satisfaire ou à concilier les exigences liées aux implantations humaines et aux activités économiques ou de loisir légalement exercées.

Les pollutions accidentelles, les accidents ou incidents sur des ouvrages hydrauliques entraînant une indisponibilité d'une partie de la ressource en eau ou la sécheresse, exigent que l'Etat dispose des pouvoirs d'intervention nécessaires pour que la gestion de la ressource en eau continue à assurer, comme le veut l'article 2 de la loi sur l'eau, la préservation des écosystèmes aquatiques, la protection qualitative et quantitative des eaux, leur valorisation économique et leur répartition ainsi que la sécurité civile et la salubrité publique.

Les pouvoirs qui vous sont confiés par le décret renforcent les possibilités d'action que vous déteniez dans le cadre de vos pouvoirs de police générale en insérant les décisions que vous serez amenés à prendre dans le cadre de la loi sur l'eau. Ces pouvoirs sont étendus et leur non-respect tombera sous le coup des dispositions pénales renforcées contenues dans cette loi.

2. Mesures

Les mesures que vous serez amenés à prendre ne visent pas seulement à remédier à une menace ou aux conséquences d'une sécheresse, mais également à celles de pollutions, d'inondations ou à un risque de pénurie, quelle qu'en soit la cause. Elles peuvent porter sur les prélèvements, la pollution rejetée, le déstockage, le stockage, la pêche, les sports d'eau, l'arrosage, etc.

Ces mesures limitées dans le temps, même si elles sont éventuellement renouvelables, doivent pouvoir être justifiées par les circonstances de fait. Il vous appartiendra donc de les moduler dans le sens du renforcement ou de l'allégement, en fonction de l'évolution prévisible ou constatée de la situation sur le terrain. Elles peuvent être collectives ou individuelles. Dans ce dernier cas, elles doivent faire l'objet, dans toute la mesure du possible, d'une concertation préalable avec l'intéressé qui doit être systématiquement informé, par les moyens les plus appropriés, de la mesure prise à son égard.

Elles ne devront s'appliquer que si les mesures à caractère permanent, prises à l'échelon national ou local en application des articles 8, 9 et 10 de la loi de 1992, ou les dispositions des schémas d'aménagement et de gestion des eaux, qui constituent le moyen normal pour gérer des situations de sécheresse ou de pollution chroniques, par exemple dans des zones où une pénurie d'eau sévit régulièrement, ne permettent pas de faire face à la situation.

Lorsque vous disposez suffisamment à temps des éléments nécessaires pour savoir qu'un risque de pénurie des ressources en eau devient probable, l'article 2 vous permet de procéder par étapes, de façon à assurer la meilleure information possible du public, de tenir compte des besoins prioritaires et d'ajuster au mieux la satisfaction des besoins aux ressources disponibles.

Dans les zones hydrographiquement cohérentes que vous désignerez parce que des mesures de limitation ou de suspension risquent de devoir y être prises, les utilisateurs de l'eau dont les ouvrages, installations, prélèvements et rejets sont subordonnés à une déclaration, une autorisation ou une concession, en application des textes encore en vigueur dans le domaine de l'eau (et dont une liste indicative est fournie en annexe), ou qui seront pris pour l'application de la loi du 3 janvier 1992, devront vous faire connaître leurs besoins réels et prioritaires qui peuvent être sensiblement inférieurs aux besoins pris en compte lors des déclarations, autorisations ou concessions, celles-ci devant permettre de répondre aux périodes d'activité maximale.

Les aspects quantitatifs et qualitatifs étant indissociablement liés, l'obligation de déclaration porte à la fois sur les prélèvements, les besoins en eau pour le fonctionnement des ouvrages et les rejets; les quantités de pollution susceptibles d'être émises doivent, en cas de rejet, être impérativement précisées.

Les besoins exprimés pourront être justifiés ou vérifiés à partir des données que les usagers de l'eau doivent collecter et tenir à la disposition de l'administration, en application des actes individuels réglementant leurs rejets, ouvrages ou prélèvements ou de la réglementation générale qui leur est applicable (article 12 de la loi du 3 janvier 1992 et décret n° 73-219 du 23 janvier 1973 pour les installations de prélèvement dans les eaux souterraines notamment).

Cette obligation de déclaration garantit que les usagers puissent s'exprimer. Elle permet à la fois de gérer au plus près la ressource en eau en cas de pénurie et de prendre en compte les besoins effectifs des usagers de l'eau en situation régulière dans la programmation des mesures susceptibles d'être prises en fonction de l'évolution de la situation. Celles-ci seront formalisées dans un document prévoyant l'échelonnement de leur mise en oeuvre en fonction du franchissement que vous constaterez, par arrêté, de seuils d'alerte correspondant, par exemple, à un certain niveau de réduction du débit d'un cours d'eau ou du niveau d'une nappe souterraine en un point représentatif. Le contenu de ce document pourra s'inspirer des pratiques existantes qui ont pu donner satisfaction, telles que notamment l'établissement de seuils d'états progressifs de pré-alerte ou d'alerte, l'instauration de tours d'eau limitant à certaines périodes les usages de l'eau, la réduction et la modulation dans le temps des rejets polluants, etc.

Les restrictions apportées devront tenir compte dans la mesure du possible des besoins prioritaires exprimés par les usagers de l'eau en situation régulière, ainsi que des cas où les déclarations, autorisations ou concessions prévoient déjà des réductions d'usage de l'eau pour les périodes de l'année où les ressources en eau sont habituellement les plus faibles.

Les mesures que vous prendrez devront garantir les besoins incompressibles de certaines installations prioritaires, au strict titre de la sécurité civile et de la santé publique et de la conservation du potentiel de défense, comme les installations nucléaires de base, les hôpitaux, ainsi que les besoins de lutte contre l'incendie. Vous veillerez à ce que ces besoins soient préalablement définis en liaison avec les autorités civiles et militaires.

Je ne vois que des avantages à ce que vos prescriptions hiérarchisent les différents usages, le maintien d'un débit minimum dans le milieu naturel et les besoins incompressibles d'alimentation en eau potable méritent d'être mis en avant dans ce cadre.

3. Cellule de crise et concertation

Bien que le décret soit muet quant aux concertations à instaurer de manière informelle ou au sein d'une cellule de crise, il n'a pas pour effet de remettre en cause les pratiques suivies antérieurement.

Au contraire, l'absence de cadre juridique contraignant vous laisse toute liberté pour les organiser au mieux, en fonction des spécificités locales, notamment dans le cadre de cellules de crise.

Lorsque le mécanisme de planification des mesures, prévu par l'article 2 du décret, est utilisé, il y a lieu de constituer une cellule de crise dans laquelle doivent se trouver représentées les différentes catégories d'usagers de l'eau directement concernés et notamment les collectivités territoriales ainsi que des fédérations départementales des associations agréées de pêche et de pisciculture et des associations de protection de la nature. Vous pourrez, bien évidemment, adjoindre à la cellule de crise, en tant que de besoin, toute personne qualifiée dont l'expérience vous paraîtrait utile pour aider à la résolution des problèmes posés.

Enfin, chaque fois qu'il existe une commission locale de l'eau, vous veillerez à ce que des membres de cette commission participent à la cellule de crise. La commission locale de l'eau doit être régulièrement informée des décisions adoptées. Elle pourra en tirer toutes les conséquences utiles dans le cadre des attributions qui lui incombent en matière d'élaboration et de suivi du schéma d'aménagement et de gestion des eaux.

La cellule de crise peut fonctionner, s'il y a lieu, jusqu'à la suppression de toute mesure de limitation ou de suspension.

4. Coordination

J'insiste sur la nécessaire concertation que vous aurez à mettre en oeuvre avec les autres préfets intéressés et avec le préfet coordonnateur de bassin dont le décret prévoit qu'il soit systématiquement informé des actions envisagées ou menées.

La nécessité d'une cohérence au-delà des structures administratives, d'ailleurs imposée par l'article 4 de la loi sur l'eau, a conduit le décret à habiliter le préfet coordonnateur de bassin à arrêter des orientations que devront respecter les décisions que vous serez amenés à prendre. Ces orientations, prises en concertation avec les préfets intéressés, sauf cas d'urgence, devront garantir l'unité des actions de l'Etat, dans un cadre global de gestion de l'eau au niveau d'une unité hydrographique cohérente et notamment sur tout cours d'eau servant de limite à deux départements ou serpentant de part et d'autre de cette limite. Méconnaître ce point essentiel serait exposer vos décisions à une annulation en cas de contentieux.

5. Indemnisations

Les mesures de police prises en matière de sécurité civile et de salubrité publique, ainsi que le retrait des autorisations délivrées en application de l'article 10 de la loi sur l'eau, ou des textes antérieurs sur la police des eaux, ne donnent pas lieu à indemnisation de la part de l'Etat lorsqu'ils interviennent pour des raisons identiques à celles qui justifient les mesures que vous serez appelés à prendre en application du décret du 24 septembre 1992. Il en est de même pour ces mesures qui n'ont qu'un caractère provisoire.

Toutefois, le dernier alinéa de l'article 1er du décret dispose que les mesures prescrites ne font pas obstacle aux facultés d'indemnisation ouvertes par les droits en vigueur. Ainsi, les limitations ou suspensions provisoires des usages de l'eau arrêtées sont sans incidence sur les indemnisations qui pourraient incomber aux personnes ayant contribué à compromettre la disponibilité de la ressource en eau, notamment du fait de leurs agissements illégaux (absence d'autorisation ou de déclaration par exemple) ou à la suite d'un accident. En particulier, les personnes publiques (collectivités publiques, établissements publics nationaux ou locaux, associations syndicales autorisées, ...) auxquelles des mesures de stockage ou de déstockage auraient été imposées à la suite d'un incident ou d'un accident sont expressément habilitées, par l'article 18 de la loi sur l'eau, à demander l'indemnisation des frais correspondant à leurs interventions au responsable de l'incident ou de l'accident. De même, les mesures de stockage ou de déstockage, dans un ouvrage concédé, imposées à l'exploitant ne remettent pas en cause les possibilités d'indemnisation reconnues par la jurisprudence en matière de concession, notamment dans le cadre de la théorie du fait du prince.

Ceci n'exclut pas l'application des dispositions de l'article 45 de la loi n° 87-585 du 22 juillet 1987 relatif à l'organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l'incendie et à la prévention des risques majeurs prévoyant qu'en cas de sécheresse grave mettant en péril l'alimentation en eau potable, vous puissiez mettre en oeuvre des dérogations temporaires aux règles fixant les débits réservés des entreprises hydrauliques et pour lesquelles la loi prévoit expressément qu'il n'y a pas lieu à paiement d'indemnités. A cet égard, vous m'adresserez vos demandes, le cas échéant, pour que je puisse constater cet état de sécheresse grave.

Enfin, le présent décret ne remet pas en cause les conventions de déstockage existantes et celles qui pourraient être conclues entre les personnes publiques ou privées dont les besoins nécessitent un apport d'eau supplémentaire et les maîtres d'ouvrages susceptibles de fournir un surplus de ressources en eau en période de sécheresse. Seul l'intérêt général, notamment tel qu'évoqué ci-dessus dans les deux derniers alinéas du titre mesures , et non un intérêt particulier, comme par exemple celui d'une usine dont le fonctionnement est lié au débit présent dans la rivière, peut justifier une mesure autoritaire de déstockage après concertation préalable avec l'exploitant, chaque fois que l'urgence ne s'y oppose pas.

A ce propos, il convient de rappeler que les mesures de stockage et de déstockage peuvent avoir un objet non seulement quantitatif, mais également qualitatif, notamment en cas de pénurie ou de pollution survenant de manière imprévue.

6. Sanctions

Les amendes, de 3 000 à 6 000 francs, encourues pour contravention de 5e classe sont d'un niveau suffisamment élevé pour être dissuasives, d'autant qu'elles peuvent s'appliquer de manière cumulative à chaque fois qu'une infraction aux mesures de limitation ou de suspension est constatée. Le montant maximum de l'amende encourue sera porté à 10 000 francs lorsque le nouveau Code pénal sera entré en vigueur.

Indépendamment des poursuites pénales susceptibles d'être engagées, comme indiqué ci-dessus, il vous appartient, aux termes de l'article 27 de la loi sur l'eau, de mettre en demeure l'exploitant ou le propriétaire de l'installation concernée de satisfaire, dans un délai déterminé, aux dispositions de l'arrêté non respectées.

S'il n'obtempère pas, il vous est possible de faire procéder d'office, aux frais de l'intéressé, à l'exécution des mesures prescrites. En outre, le deuxième alinéa de l'article 25 de la loi sur l'eau réprime le fait de poursuivre l'exploitation de l'installation ou de l'ouvrage, sans se conformer à votre arrêté de mise en demeure, d'une peine de prison de deux mois à deux ans et d'une amende de 20 000 à 1 000 000 de francs.

Enfin, en cas de non-respect des prescriptions imposées, toute mesure utile, y compris l'interdiction d'exploiter l'ouvrage ou l'installation, peut être ordonnée par l'autorité judiciaire, en particulier sur réquisition du ministère public agissant à votre requête dans les conditions prévues à l'article 30 de la loi du 3 janvier 1992 (référé pénal).

J'attire votre attention sur le fait que la loi n'a pour objet de protéger et de prendre en compte que les activités légalement exercées, ainsi que le précise expressément son article 2. A cet égard, il vous appartient d'interdire formellement les utilisations ou usages de l'eau que vous aurez soumis à limitation ou suspension et qui seraient effectués directement ou par l'intermédiaire d'une installation, d'un ouvrage ou de travaux sans l'autorisation ou la déclaration requise par les textes qui leur sont applicables, de façon à pouvoir les poursuivre en application du décret du 24 septembre 1992 et des textes évoqués ci-dessus.

Vous voudrez bien me rendre compte, sous le timbre de la direction de l'eau, des difficultés que vous rencontrerez dans l'application de la présente circulaire.

 

Annexe : Liste indicative des principaux textes, dans le domaine de l'eau, relatifs aux concessions, autorisations, déclarations, réglementations des ouvrages, prélèvements ou rejets

  • Autorisations des articles 25 et 33 du Code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure;
  • Autorisations de l'article 106 du Code rural;
  • DUP des articles 112 et 113 du Code rural;
  • Concessions, autorisations et règlements d'eau des entreprises hydroélectriques soumises à la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique;
  • Autorisation du décret n° 73-218 du 23 février 1973 portant application des articles 2 et 6 (1°) de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution;
  • Autorisation ou déclaration du décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 pris pour l'application de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement et du titre Ier de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution;
  • Autorisation du décret n° 74-1181 du 31 décembre 1974 relatif aux rejets d'effluents radioactifs liquides provenant d'installations nucléaires;
  • Autorisations prévues par le décret-loi du 8 août 1935 sur la protection des eaux souterraines et le décret du 4 mai 1937 pris pour son application, concernant Paris, la Seine-Saint-Denis, le Val-d'Oise, les Yvelines, les Hauts-de-Seine, l'Essonne, le Val-de-Marne et la Seine-et-Marne, puis étendus à tout ou partie du territoire du Nord et du Pas-de-Calais (décret du 3 octobre 1958), de la Gironde (décret du 21 avril 1959), de la Guadeloupe (décret du 21 mars 1960), de la Réunion (décret n° 61-1542 du 30 décembre 1961), des Bouches-du-Rhône, du Calvados, des Pyrénées-Orientales, de la Seine-Maritime et du Territoire de Belfort (décret n° 73-200 du 21 février 1973) et de l'Indre-et-Loire (décret n° 85-606 du 10 juin 1985);
  • Déclaration des prélèvements dans les eaux souterraines et tenue d'un registre des volumes prélevés, prévues par le décret n° 73-219 du 23 février 1973 portant application des articles 40 et 57 de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution.

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