(JORF n°0272 du 24 novembre)


NOR : CRER1116830V

Participaient à la séance : Philippe de LADOUCETTE, président, Olivier CHALLAN BELVAL et Michel THIOLLIERE, commissaires.

La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie, le 6 juillet 2011, par la ministre chargée de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement et par le ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, d'un projet d'arrêté fixant les conditions d'achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel.

La CRE a mené une analyse de rentabilité pour vérifier que le niveau des tarifs d'achat conduit à une rémunération normale des capitaux immobilisés au regard des garanties apportées par la signature d'un contrat d'achat.

La CRE estime que les tarifs envisagés pour les installations de méthanisation de déchets agricoles induisent des rentabilités normales pour les projets d'une capacité comprise entre 100 et 200 m³/h, et faibles pour les autres projets. Cependant, des installations de taille plus importante peuvent trouver une justification du fait des économies d'échelles qui peuvent être réalisées. Dans cette perspective, et en considérant uniquement l'optimum économique du mécanisme d'obligation d'achat, la CRE considère que l'introduction de nouveaux seuils pour le tarif de référence pour des installations de 150, 250 et 350 m³/h avec des tarifs respectifs de 7,8, 6,8 et 6,4 c€/kWh PCS permettrait à des projets de méthanisation territoriale (1) plus efficaces économiquement de se développer.

S'agissant des tarifs applicables aux Installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND) qui valorisent sur site le biogaz produit, les données à la disposition de la CRE ne lui permettent pas de confirmer l'adéquation des tarifs avec les coûts de production. Une analyse approfondie des coûts de cette filière paraît nécessaire.

Par ailleurs, la durée de quinze ans prévue pour le contrat d'achat n'est pas cohérente avec les durées d'exploitation observées pour ce type d'installation. Porter cette durée à vingt ans serait économiquement plus pertinent. Afin de garder des niveaux de rentabilité équivalents pour les projets identifiés comme rentables, cette modification devrait s'accompagner d'une réduction des tarifs et primes de 6 %.

Enfin, malgré un important potentiel de baisse des coûts d'investissements, comme le montre l'évolution des coûts observée en Allemagne, le projet d'arrêté ne prévoit pas de dégressivité des tarifs. A défaut de pouvoir définir un coefficient de dégressivité pertinent à l'aube du réel développement de la filière, la CRE préconise qu'une révision des tarifs intervienne rapidement si le rythme des demandes de raccordement s'avère trop élevé au regard des objectifs de développement visés pour 2020.

En supposant que les installations bénéficiant d'un contrat d'achat aux tarifs proposés injecteront entre 2,8 et 9,25 TWh de biométhane dans les réseaux de gaz naturel en 2020 (2), les charges de service public seraient comprises entre 150 et 400 M€ par an.

1. Description du tarif proposé

Le projet d'arrêté fixe les conditions d'achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel.

Le tarif applicable est composé d'un tarif de référence T auquel peut s'ajouter une prime PI qui dépend de la part et du type de déchets utilisés dans l'approvisionnement des unités de méthanisation.

Les valeurs du tarif de référence dépendent de la capacité de l'installation comme suit :

La prime PI est égale à

PI = PI1 × p1 + PI2 × p2

PI1 = 0,5 c€/kWh PCS ;

p1 est la proportion (en tonnage) de biodéchets, déchets ménagers ou déchets de la restauration hors foyer dans l'approvisionnement total en intrants de l'installation, calculée sur une base annuelle ;

PI2 est définie dans le tableau ci-après :

p2 est la proportion (en tonnage), calculée sur une base annuelle, des déchets ou résidus provenant de l'agriculture, de la sylviculture, de l'industrie agroalimentaire ou des autres agro-industries dans l'approvisionnement total en intrants de l'installation.

2. Analyse de rentabilité

2.1. Hypothèses techniques

Deux catégories d'installations sont considérées :
- les installations de méthanisation agricole ;
- les installations valorisant le biogaz collecté dans les ISDND.

Les caractéristiques techniques des installations ayant fait l'objet d'une analyse de rentabilité sont indiquées dans le tableau ci-dessous :

2.2. Hypothèses économiques

L'analyse de rentabilité des tarifs envisagés compare le taux de rentabilité interne du capital investi après impôts (TRI projet) avec le coût moyen pondéré du capital pris comme référence, qui est estimé à 5,1 % sur la base du coût du capital moyen d'un échantillon d'entreprises du secteur des énergies renouvelables.

Les données utilisées par la CRE relatives aux coûts d'investissement, d'exploitation et aux revenus des installations sont principalement issues d'études commandées en 2009 par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) (4) et du rapport du groupe de travail sur l'injection de biométhane dans le réseau de gaz naturel (5). Aucune subvention ou aide à l'investissement n'est considérée dans le calcul.

Par ailleurs, aucune baisse de revenus liée aux redevances (6) que le producteur perçoit pour le traitement des déchets n'est prise en compte à moyen terme. En effet, si une telle baisse était retenue dans la détermination du niveau des tarifs, les exploitants auraient la possibilité d'accepter des rémunérations plus faibles pour le traitement des déchets grâce à des tarifs d'achat plus élevés. Une hypothèse de baisse des niveaux des redevances serait donc de nature auto-réalisatrice. De plus, prendre en compte une telle baisse reviendrait à faire financer le traitement des déchets, obligation de nature réglementaire, par la contribution au service public de l'électricité.

2.3. Résultats

Méthanisation agricole

Les résultats de l'analyse de rentabilité menée par la CRE étant sensibles à la proportion de déchets faisant l'objet d'une redevance utilisée dans les intrants, ceux-ci sont illustrés ci-dessous sous la forme d'un tableau à double entrée avec comme paramètres le débit maximal de biométhane produit et la proportion de déchets avec redevance. Les plages de valeurs de rentabilité indiquées dans le tableau sont la traduction de la diversité des coûts d'investissement et d'exploitation observés pour des installations de même capacité.

Taux de rentabilité interne après impôts (TRI projet) des installations de méthanisation agricole bénéficiant des tarifs d'achat envisagés

Les installations de méthanisation agricole de taille comprise entre 100 et 200 m³/h ont des rentabilités supérieures à celles des installations de 35 m³/h ou de 350 m³/h. Pour ces dernières, une redevance perçue sur la totalité des déchets permet d'obtenir des niveaux de rentabilité supérieurs au coût moyen pondéré du capital pris comme référence.

Les coûts d'investissements fixes élevés expliquent la relation croissante entre TRI et capacité maximale de production. Le niveau de rentabilité maximum est atteint pour une installation d'une puissance d'environ 125 m³/h. Le TRI projet diminue par la suite en raison de la dégressivité des tarifs prévue dans le projet d'arrêté et de l'augmentation du coût de transport des déchets due à l'accroissement du tonnage d'intrants nécessaire.

ISDND :

Les données disponibles, en particulier celles concernant le poste d'épuration et de compression du biogaz, n'ont pas permis à la CRE de procéder au calcul des rentabilités induites par les tarifs de manière aussi précise que pour les installations de méthanisation agricole. Malgré l'effort de récolte des données initié dans le cadre du groupe de travail sur l'injection de biométhane mis en place par la direction générale de l'énergie et du climat en 2010, une analyse approfondie des coûts de cette filière paraît nécessaire.

Les installations de stockage peuvent bénéficier du tarif de référence T pour l'injection de biométhane.

Pour ces installations, la production de biométhane ne nécessite pas la construction de digesteurs et d'unités de stockage et de traitement de déchets et n'entraîne pas de coûts de transports supplémentaires. Cependant, les coûts d'épuration unitaires sont supérieurs à ceux des installations de méthanisation agricole du fait d'une moindre qualité du biogaz produit.

Aussi, les tarifs proposés induiraient des rentabilités normales si les coûts d'investissement pour les installations d'épuration étaient au moins trois fois supérieurs à ceux des installations agricoles. Le manque de données relatives aux coûts d'investissement et de fonctionnement de l'épuration et de la compression ne permet pas à la CRE de confirmer cet ordre de grandeur.

3. Avis de la CRE

3.1. Les conditions d'achat

Les tarifs proposés permettent, pour les installations de méthanisation agricole, d'atteindre des niveaux de rentabilité qui n'excèdent pas une rémunération normale des capitaux pour ce secteur d'activité.

On observe cependant que les installations de capacité de production inférieures à 75 m³/h ne sont pas soutenables en raison de coûts de production trop élevés. Un projet de méthanisation territoriale, procédant par le regroupement de plusieurs exploitants agricoles porteurs de petits projets afin de ne construire qu'un seul digesteur de plus grande taille, trouve toute sa pertinence du fait des économies d'échelle. Il convient de favoriser cette démarche par un tarif plus incitatif pour des installations de taille moyenne.

Dans cette perspective, et en considérant uniquement l'optimum économique du mécanisme d'obligation d'achat, la CRE considère que l'introduction de nouveaux seuils pour le tarif de référence à 150, 250 et 350 m³/h avec des tarifs respectifs de 7,8, 6,8 et 6,4 c€/kWh permettrait à des projets de méthanisation territoriale plus efficaces de se développer.

S'agissant des tarifs applicables aux ISDND qui valorisent sur site le biogaz produit, les données à la disposition de la CRE, compte tenu du faible degré de maturité du secteur, ne lui permettent pas de confirmer l'adéquation des tarifs avec les coûts de production.

L'article 5 du projet d'arrêté prévoit que le contrat d'achat est conclu pour quinze ans à compter de la date de mise en service de l'installation. Or, la durée d'exploitation de telles installations est supérieure à quinze ans. Par souci d'optimisation économique, la durée des contrats doit être portée à vingt ans, comme c'est le cas en Allemagne et en Suisse, et pour la plupart des autres filières en France.

Afin de garder des niveaux de rentabilité équivalents pour les projets identifiés comme rentables, cette modification doit s'accompagner d'une réduction des tarifs et primes de 6 %.

Par conséquent, la CRE préconise de fixer le tarif de référence aux niveaux suivants :

3.2. Addition de propane ou de butane

Les principes gouvernant les conditions d'accès des producteurs de biométhane au réseau de distribution de GrDF énoncent les caractéristiques physico-chimiques requises afin de garantir la qualité et la non-dangerosité du biométhane pour les personnes et les biens. Afin de respecter les prescriptions techniques des gestionnaires de réseau, le producteur peut être contraint d'ajouter du propane ou du butane lors de l'injection du biométhane dans les réseaux de gaz naturel.

En outre, l'annexe II du projet d'arrêté énonce la méthode de calcul du tarif d'achat et précise que c'est « l'énergie du biométhane produit par l'installation et injecté dans les réseaux de gaz naturel » qui est facturée à l'acheteur.

Afin d'éviter tout effet d'aubaine qu'entraînerait l'injection de quantités de propane ou de butane au-delà du seuil requis, la CRE considère qu'il est nécessaire de spécifier la quantité maximale de propane ou de butane qu'un producteur est autorisé à ajouter au biométhane afin de respecter les prescriptions techniques du gestionnaire de réseau.

3.3. Dégressivité

Malgré un important potentiel de baisse des coûts d'investissements, comme le montrent les coûts observés en Allemagne, le projet d'arrêté ne prévoit pas de dégressivité des tarifs. A défaut de pouvoir définir un coefficient de dégressivité pertinent à l'aube du réel développement de la filière, la CRE préconise de procéder au bout d'un an à un état du développement de la filière au regard de l'objectif pour 2012 de production de chaleur à partir de biogaz inscrit dans la programmation pluriannuelle des investissements, et si besoin de procéder à une révision des tarifs.

3.4. Conclusion

Sous réserve de la prise en compte des remarques qui précédent, la CRE émet un avis favorable au projet d'arrêté qui lui est soumis.

Fait à Paris, le 26 juillet 2011.

Pour la Commission de régulation de l'énergie :
Le président,
P. de Ladoucette

(1) On entend par projet de méthanisation territoriale le regroupement de plusieurs petits exploitants agricoles qui exploitent ensemble un même digesteur.
(2) Potentiels d'injection identifiés dans le rapport du groupe de travail sur l'injection de biométhane dans les canalisations de gaz naturel.
(3) Pouvoir calorifique supérieur.
(4) « Expertise de la rentabilité des projets de méthanisation rurale », rapport final, 2010, étude réalisée pour le compte de l'ADEME par SOLAGRO, EREP, PSPC, SOGREAH, PERI G et « Etude de marché de la méthanisation et de la valorisation du biogaz », rapport final, 2010, étude réalisée pour le compte de l'ADEME et GrDF par Ernst et Young.
(5) « Rapport du groupe de travail sur l'injection de biométhane dans le réseau de gaz naturel », ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer.
(6) Le niveau des redevances pour le traitement des déchets répond à une logique de marché et son prix est très volatil selon les régions.

 

 

 

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