(JO n° 225 du 28 septembre 2014)
NOR : CSCX1422903S
(ASSOCIATION FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 juin 2014 par le Conseil d'Etat (décision n° 380652 du 27 juin 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par l'association France Nature Environnement relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 173-12 du code de l'environnement.
Vus
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le code pénal ;
Vu l'ordonnance n° 2012-34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l'environnement, notamment son article 3 ;
Vu la loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable, notamment son article 17 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour l'association requérante, enregistrées les 23 juillet et 6 août 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 23 juillet 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Hélène Daoulas-Hervé, avocat au barreau de Quimper, pour l'association requérante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 16 septembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérants
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 173-12 du code de l'environnement, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 11 janvier 2012 susvisée : « I. - L'autorité administrative peut, tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, transiger avec les personnes physiques et les personnes morales sur la poursuite des contraventions et délits prévus et réprimés par le présent code.
« La transaction proposée par l'administration et acceptée par l'auteur de l'infraction doit être homologuée par le procureur de la République.
« II. - Cette faculté n'est pas applicable aux contraventions des quatre premières classes pour lesquelles l'action publique est éteinte par le paiement d'une amende forfaitaire en application de l'article 529 du code de procédure pénale.
« III. - La proposition de transaction est déterminée en fonction des circonstances et de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur ainsi que de ses ressources et de ses charges.
« Elle précise l'amende transactionnelle que l'auteur de l'infraction devra payer, dont le montant ne peut excéder le tiers du montant de l'amende encourue, ainsi que, le cas échéant, les obligations qui lui seront imposées, tendant à faire cesser l'infraction, à éviter son renouvellement, à réparer le dommage ou à remettre en conformité les lieux. Elle fixe également les délais impartis pour le paiement et, s'il y a lieu, l'exécution des obligations.
« IV. - L'acte par lequel le procureur de la République donne son accord à la proposition de transaction est interruptif de la prescription de l'action publique.
« L'action publique est éteinte lorsque l'auteur de l'infraction a exécuté dans les délais impartis l'intégralité des obligations résultant pour lui de l'acceptation de la transaction.
« V. - Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. » ;
2. Considérant que, selon l'association requérante, ces dispositions méconnaissent les principes de nécessité et de proportionnalité des peines, les droits de la défense, le droit au procès équitable de la victime de l'infraction, le respect de la présomption d'innocence, le principe d'égalité devant la loi ainsi que les articles 1er, 3 et 4 de la Charte de l'environnement ;
Sur les griefs tirés de la méconnaissance des exigences qui résultent des articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :
3. Considérant que, selon l'association requérante, en permettant un cumul de l'amende transactionnelle avec les sanctions administratives susceptibles d'être prononcées par l'autorité administrative en application de l'article L. 171-8 du code de l'environnement, les dispositions contestées méconnaissent le principe de proportionnalité des peines ; qu'en outre, elle fait valoir qu'en cas de poursuites et de condamnation faisant suite à une transaction qui n'a pas été entièrement exécutée les dispositions contestées n'imposent pas qu'il soit tenu compte des sommes déjà versées et des autres obligations transactionnelles déjà exécutées ; qu'elle soutient également qu'en n'excluant pas les délits les plus graves du champ d'application de la transaction, le législateur a prévu une répression insuffisante de certaines infractions en matière d'environnement dans des conditions qui portent atteinte à l'article 8 de la Déclaration de 1789, aux articles 1er, 3 et 4 de la Charte de l'environnement ainsi qu'aux objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public environnemental et de santé publique ;
4. Considérant que l'association requérante soutient également qu'en ne précisant pas que, lorsque l'administration propose une transaction, l'auteur de l'infraction est informé de la nature des faits à l'origine de la procédure et de leur qualification juridique, de son droit de bénéficier de l'assistance d'un avocat et d'avoir communication du procès-verbal d'infraction ainsi que, le cas échéant, des avis de l'autorité administrative recueillis au cours de l'enquête, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense ; qu'en prévoyant que la transaction est homologuée par le ministère public, ces dispositions ne garantiraient pas le caractère libre et éclairé du consentement de l'auteur de l'infraction ; qu'en outre, en ne précisant pas que les victimes identifiées doivent être avisées de la mise en œuvre de la transaction, ces dispositions méconnaîtraient les droits de la victime d'exercer un recours juridictionnel effectif ;
5. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition ;
6. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable ainsi que les droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition ;
7. Considérant que l'article L. 173-12 du code de l'environnement est relatif à la procédure par laquelle, tant que l'action publique n'est pas mise en mouvement, l'autorité administrative peut transiger avec les personnes physiques et les personnes morales sur la poursuite des délits et contraventions de cinquième classe prévus et réprimés par le code de l'environnement ; que la proposition de transaction qui doit être acceptée par l'auteur de l'infraction précise l'amende transactionnelle que celui-ci devra payer, dont le montant ne peut excéder le tiers du montant de l'amende encourue ainsi que, le cas échéant, les obligations qui lui seront imposées tendant à faire cesser l'infraction, à éviter son renouvellement, à réparer le dommage ou à remettre en conformité les lieux ; que la transaction doit être homologuée par le procureur de la République ;
8. Considérant, en premier lieu, que les dispositions contestées organisent une procédure de transaction qui suppose l'accord libre et non équivoque, avec l'assistance éventuelle de son avocat, de l'auteur des faits ; qu'en outre la transaction homologuée ne présente, en elle-même, aucun caractère exécutoire et n'entraîne aucune privation ou restriction des droits de l'intéressé ; qu'elle doit être exécutée volontairement par ce dernier ; que, par suite, les mesures fixées dans la transaction ne revêtent pas le caractère de sanctions ayant le caractère d'une punition ; qu'il appartient au pouvoir réglementaire de préciser, sous le contrôle du juge, les règles de procédure transactionnelle ;
9. Considérant, en deuxième lieu, qu'en confiant au ministère public le pouvoir d'homologuer une procédure dont l'exécution volontaire par l'auteur de l'infraction a pour seul effet d'éteindre l'action publique, les dispositions contestées ne portent aucune atteinte aux exigences qui résultent de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ;
10. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions contestées ne font pas obstacle au droit des victimes, avisées de la procédure par le procureur de la République dans les conditions de l'article 40-2 du code de procédure pénale, d'agir pour demander la réparation de leur préjudice devant les juridictions civiles ainsi que, dans le délai de la prescription de l'action publique, devant les juridictions répressives ; que, par suite, les dispositions contestées ne portent pas atteinte au droit des victimes d'exercer un recours juridictionnel effectif ;
11. Considérant, en quatrième lieu, que la transaction avec l'autorité administrative implique, de la part de cette dernière, la renonciation à poursuivre l'auteur des faits ; que, par suite, le grief tiré de ce que l'amende transactionnelle pourrait se cumuler avec une sanction administrative prononcée pour des mêmes faits manque en fait ; qu'en cas d'exécution incomplète des mesures prévues par la transaction homologuée, il résulte des paragraphes III et IV de l'article L. 173-12 qu'il appartient à l'administration de saisir le procureur de la République en vue de la mise en mouvement de l'action publique ;
12. Considérant, en cinquième lieu, qu'il ressort des dispositions du code pénal relatives au prononcé des peines que la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ; que, par suite, en cas de poursuites devant la juridiction répressive faisant suite à une transaction qui n'a pas été entièrement exécutée, il est tenu compte, s'il y a lieu, des sommes déjà versées ou des autres obligations respectées par l'auteur de l'infraction au titre de la transaction ; qu'il s'ensuit que manque en fait le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient le principe de nécessité des peines en n'imposant pas au juge saisi de poursuites postérieures à une transaction qui n'a pas été complètement exécutée, qu'il soit tenu compte des sommes déjà versées et des autres obligations transactionnelles déjà exécutées ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les griefs tirés de l'atteinte aux exigences des articles 8 et 16 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés ;
Sur les autres griefs :
14. Considérant, en premier lieu, que, selon l'association requérante, en n'interdisant pas que les déclarations de l'auteur de l'infraction pendant la phase transactionnelle puissent être utilisées à l'occasion des poursuites ultérieures, si la transaction échoue, les dispositions contestées méconnaissent le droit au respect de la présomption d'innocence ;
15. Considérant que ni le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, qui découle de l'article 9 de la Déclaration de 1789, ni aucune autre exigence constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une personne suspectée d'avoir commis une infraction reconnaisse librement sa culpabilité et consente à exécuter une peine ou des mesures de nature à faire cesser l'infraction ou en réparer les conséquences ; que, par suite, les dispositions contestées ne méconnaissent pas la présomption d'innocence ;
16. Considérant, en second lieu, que le pouvoir du procureur de la République de choisir les modalités de mise en œuvre de l'action publique ou les alternatives aux poursuites ne méconnaît pas le principe d'égalité ;
17. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'elles doivent être déclarées conformes à la Constitution,
Décide :
Article 1er de la décision du 26 septembre 2014
L'article L. 173-12 du code de l'environnement est conforme à la Constitution.
Article 2 de la décision du 26 septembre 2014
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 septembre 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 26 septembre 2014.
Le président,
Jean-Louis Debré