(JO n° 250 du 27 octobre 2023)


NOR : CSCX2328978S

(ASSOCIATION FRANCE ÉNERGIE ÉOLIENNE ET AUTRES)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 juillet 2023 par le Conseil d'Etat (décision nos 471674, 471713, 471778 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'association France énergie éolienne par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour la société PSTW SAS par Mes Claire Vannini, Céline Cloché-Dubois et Ariane Rolin, avocates au barreau des Hauts-de-Seine, ainsi que pour la société TTR energy et autres par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1065 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'énergie ;
- la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ;
- la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante et le syndicat France hydro électricité, partie à l'instance à l'occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, enregistrées le 4 août 2023 ;
- les observations présentées pour la société TTR energy et autres, parties requérantes, ainsi que pour la société Enerparc AG et autres, parties à l'instance à l'occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Mes Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris, et Olivier Texidor, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 11 août 2023 ;
- les observations présentées pour la société PSTW SAS par Mes Vannini, Cloché-Dubois et Rolin, enregistrées le 14 août 2023 ;
- les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le 16 août 2023 ;
- les secondes observations présentées pour l'association requérante et le syndicat France hydro électricité par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, enregistrées le 4 septembre 2023 ;
- les secondes observations présentées pour la société TTR energy et autres ainsi que pour la société Enerparc AG et autres par Mes Lazerges et Texidor, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour la société PSTW SAS par Mes Vannini, Cloché-Dubois et Rolin, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Lazerges, pour la société TTR energy et autres ainsi que pour la société Enerparc AG et autres, Me Vannini, pour la société PSTW SAS, Me Cédric Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour l'association France énergie éolienne et le syndicat France hydro électricité, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l'audience publique du 17 octobre 2023 ;

Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée pour la société TTR energy et autres ainsi que pour la société Enerparc AG et autres par Mes Lazerges et Texidor, enregistrée le 18 octobre 2023 ;
- la note en délibéré présentée par la Première ministre, enregistrée le 20 octobre 2023 ;
- la note en délibéré présentée pour la société TTR energy et autres ainsi que pour la société Enerparc AG et autres par Mes Lazerges et Texidor, enregistrée le 23 octobre 2023 ;
- la note en délibéré présentée pour l'association France énergie éolienne et le syndicat France hydro électricité par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, enregistrée le même jour ;
- la note en délibéré présentée pour la société PSTW SAS par Mes Vannini, Cloché-Dubois et Rolin, enregistrée le même jour ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :

1. L'article 38 de la loi du 16 août 2022 mentionnée ci-dessus prévoit :

« Le présent article s'applique à tous les contrats offrant un complément de rémunération conclus en application des articles L. 311-12 et L. 314-18 du code de l'énergie qui prévoient une limite supérieure aux sommes dont le producteur est redevable lorsque la prime à l'énergie mensuelle est négative.

« A compter du 1er janvier 2022 inclus, par dérogation à l'article R. 314-49 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2021-1691 du 17 décembre 2021 relatif à l'obligation de transmission d'une attestation de conformité aux prescriptions mentionnées à l'article R. 311-43 du code de l'énergie et portant modification de la partie réglementaire du code de l'énergie relative à la production d'électricité et à la vente de biogaz et aux cahiers des charges mentionnés à l'article L. 311-10-1 dudit code, les contrats mentionnés au premier alinéa du présent article sont ainsi modifiés :

« 1° Un arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie et du budget détermine, pour chaque année comprise entre 2022 et la date de fin des contrats, un prix seuil. Le projet d'arrêté est soumis pour avis à la Commission de régulation de l'énergie. Cet avis est rendu public. Lorsque, pour un mois donné, le tarif de référence utilisé pour le calcul du complément de rémunération est supérieur ou égal à ce prix seuil, si la prime à l'énergie mensuelle est négative, le producteur est redevable de la somme correspondante pour l'énergie produite et celle-ci n'est pas comptabilisée au titre des montants perçus et versés par le producteur ;

« 2° Lorsque, au contraire, le tarif de référence est strictement inférieur au prix seuil, alors, pour le mois considéré :

« a) Si le prix de marché de référence de l'électricité calculé selon les modalités prévues par le contrat est inférieur ou égal au prix seuil, les stipulations prévues par le contrat pour le calcul du complément de rémunération et pour le calcul des montants perçus et versés s'appliquent ;

« b) Si le prix de marché de référence de l'électricité calculé selon les modalités prévues par le contrat est strictement supérieur au prix seuil, les stipulations relatives au calcul du complément de rémunération s'appliquent en considérant que le prix de marché de référence de l'électricité utilisé pour le calcul de la prime est égal au prix seuil. De plus, le producteur est redevable des sommes égales au volume d'électricité injecté sur les réseaux publics d'électricité durant le mois, multiplié par la différence entre le prix de marché de référence, calculé selon les modalités prévues par le contrat, et le prix seuil. Ces sommes ne sont pas comptabilisées au titre des montants perçus et versés par le producteur ».

2. Les requérantes, rejointes par les parties à l'instance à l'occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, reprochent à ces dispositions de revenir, et ce de manière rétroactive, sur le plafonnement des reversements dus par les producteurs d'électricité à partir d'énergie renouvelable ayant conclu avec Électricité de France certains contrats offrant un complément de rémunération. En remettant ainsi en cause, sans justification, des contrats en cours d'exécution, ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et au droit au maintien des conventions légalement conclues.

3. Pour les mêmes motifs, ces dispositions porteraient atteinte à des situations légalement acquises ainsi qu'aux attentes légitimes des opérateurs concernés. Il en résulterait une méconnaissance de la garantie des droits. Elles seraient également contraires, selon certaines requérantes, au droit de propriété.

4. Les requérantes, rejointes par les parties à l'instance à l'occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, soutiennent ensuite que, en ne définissant ni la notion de prix seuil en fonction duquel sont calculés les reversements dus par les producteurs à Électricité de France, ni les modalités de détermination de ce prix, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant les exigences constitutionnelles précitées ainsi que le principe de sécurité juridique, la liberté d'entreprendre et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

5. Certaines requérantes font en outre valoir que ces dispositions, qui procèderaient à la validation d'une instruction ministérielle illégale, seraient contraires aux exigences constitutionnelles découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 applicables aux lois de validation.

6. Enfin, l'une des requérantes soutient que ces dispositions institueraient une différence de traitement entre les producteurs d'électricité à partir d'énergie renouvelable et les autres producteurs d'électricité qui serait contraire à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement.

- Sur le fond :

7. Le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.

8. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

9. En application des articles L. 311-12 et L. 314-18 du code de l'énergie, les exploitants de certaines installations de production d'électricité à partir d'énergie renouvelable peuvent bénéficier d'un contrat offrant un complément de rémunération conclu avec Électricité de France.

10. Les dispositions réglementaires prises pour l'application de ces dispositions prévoient le versement par Électricité de France d'une prime aux producteurs lorsque le prix du marché auquel ils vendent leur production est inférieur au tarif de référence fixé par le contrat ou par arrêté. Elles prévoient, à l'inverse, lorsque le tarif de référence est inférieur au prix du marché, le reversement à Électricité de France par les producteurs du montant correspondant à la différence entre ces deux prix, sous la forme d'une prime négative. Dans ce cas, l'article R. 314-49 du code de l'énergie, dans sa rédaction initiale, prévoyait un plafonnement du reversement de la prime négative à hauteur du montant total des aides perçues depuis le début du contrat au titre du complément de rémunération.

11. Les dispositions contestées prévoient que, de manière rétroactive, à compter du 1er janvier 2022, pour les contrats en cours qui intégraient un tel plafonnement, le reversement dû à Électricité de France n'est plus, dans certaines hypothèses, limité au montant total des aides perçues. Ce reversement est calculé en fonction d'un prix seuil, qui est déterminé, chaque année jusqu'à la fin du contrat, par arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie et du budget.

12. En modifiant en cours d'exécution les modalités contractuelles déterminant le montant des reversements dus par les producteurs lorsque la prime à l'énergie mensuelle est négative, les dispositions contestées portent atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues.

13. En premier lieu, il résulte des travaux préparatoires de la loi du 17 août 2015 mentionnée ci-dessus que le législateur, en instituant un dispositif de complément de rémunération, a entendu soutenir la production d'électricité à partir d'énergie renouvelable en assurant aux producteurs une rémunération raisonnable des capitaux investis. 

Or la très forte augmentation des prix de l'électricité sur le marché à partir de septembre 2021, qui était imprévisible lors de la conclusion de ces contrats, a eu pour conséquence une augmentation considérable du profit généré par les installations de production d'électricité. En adoptant les dispositions contestées, dans un contexte de forte hausse des prix de l'électricité, le législateur a ainsi entendu corriger les effets d'aubaine dont ont bénéficié les producteurs qui ont reçu un soutien public, afin d'atténuer l'effet préjudiciable de cette hausse pour le consommateur final. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général.

14. En second lieu, si la modification des modalités de calcul des reversements dus par les producteurs d'électricité bénéficiant d'un complément de rémunération affecte un élément essentiel de leurs contrats, il résulte de l'article L. 314-20 du code de l'énergie que leur est garantie, quelle que soit l'évolution des prix du marché, une rémunération raisonnable des capitaux immobilisés tenant compte des risques inhérents à leur exploitation jusqu'à l'échéance de leur contrat.

15. Ainsi, les dispositions contestées, en ce qu'elles reviennent sur le plafonnement auquel les producteurs pouvaient prétendre en vertu des contrats en cours, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues.

16. Toutefois, ces dispositions se bornent à renvoyer à un arrêté ministériel la fixation d'un prix seuil en fonction duquel sont calculés les reversements dus par les producteurs bénéficiant d'un complément de rémunération au titre des contrats en cours d'exécution. En s'abstenant de définir lui-même les critères de détermination de ce prix, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant le droit au maintien des conventions légalement conclues.

17. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

18. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites particulières.

19. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication de la présente décision.

Le Conseil constitutionnel décide :

Article 1er de la décision du 26 octobre 2023

L'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 est contraire à la Constitution.

Article 2 de la décision du 26 octobre 2023

La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 19 de cette décision.

Article 3 de la décision du 26 octobre 2023

Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 octobre 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Rendu public le 26 octobre 2023.

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