(circulaires.legifrance.gouv.fr et BO MTES n° 2017/12 du 10 juillet 2017)
NOR : TREL1711655N
Date d’application : immédiate.
Résumé :
Cette note a pour objet :
- de préciser la notion de « végétation » inscrite à l’article L. 211-1 du code de l’environnement suite à la lecture des critères de caractérisation des zones humides faite par le Conseil d’État dans sa décision du 22 février 2017 ;
- de préciser les suites à donner vis-à-vis des actes de police en cours ou à venir.
Catégorie : interprétation à retenir, sous réserve de l’appréciation souveraine du juge, lorsque l’analyse de la portée juridique des textes législatifs ou réglementaires.
Domaine : écologie, environnement.
Type : instruction aux services déconcentrés.
Mots clés liste fermée : Energie-Environnement.
Mots clés libres : zones humides.
Références :
Articles L. 211-1, L. 214-7 et L. 173-1, R. 214-1, rubrique 3310, et R. 216-12 du code de l’environnement ;
Articles L. 121-23 et R. 121-4 du code de l’urbanisme ;
Arrêté du 24 juin 2008 modifié précisant les critères de définition et de délimitation des zones humides en application des articles L. 214-7-1 et R. 211-108 du code de l’environnement ;
Décision du Conseil d’État du 22 février 2017 (n° 386325).
Le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire aux préfets de région (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement [DREAL] ; direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement [DEAL] ; direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie [DRIEE]) ; aux préfets de département (direction départementale des territoires [DDT] ; direction départementale des territoires et de la mer [DDTM]) ; à l’Agence française pour la biodiversité (AFB) (direction contrôle des usages) (pour attribution) ; au secrétariat général du Gouvernement ; au secrétariat général du MTES et du MCT (SPES et DAJ) ; à l’Agence de l’eau ; au ministère de la justice, direction de l’action criminelle et des grâces (pour information).
Les zones humides sont des milieux diversifiés et au fonctionnement écologique complexe, ce d’autant plus qu’ils peuvent avoir été modifiés ou dégradés par des activités anthropiques. Ces zones font l’objet d’engagements internationaux de préservation, de restauration et de gestion de manière durable dans le cadre de la convention de RAMSAR, et d’obligations communautaires de protection et de rapportage dans le cadre de la directive sur les habitats d’intérêt communautaire (sites Natura 2000 notamment). La présente note précise l’application des dispositions de l’article L. 211-1 (I, 1°) du code de l’environnement, telles que celles-ci ont été récemment interprétées par le Conseil d’État.
Aux termes de l’article L. 211-1 (I, 1°) du code de l’environnement, « on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année ; ».
L’arrêté du 24 juin 2008 modifié précisant les critères de définition et de délimitation des zones humides en application des articles L. 214-7-1 et R. 211-108 du code de l’environnement indique qu’une zone est considérée comme humide si elle présente l’un des critères sol ou végétation qu’il fixe par ailleurs.
Amené à préciser la portée de cette définition légale, le Conseil d’État a considéré dans un arrêt récent (CE, 22 février 2017, n° 386325) « qu’une zone humide ne peut être caractérisée, lorsque de la végétation y existe, que par la présence simultanée de sols habituellement inondés ou gorgés d’eau et, pendant au moins une partie de l’année, de plantes hygrophiles ». Il considère en conséquence que les deux critères pédologique et botanique sont, en présence de végétation, « cumulatifs, (…) contrairement d’ailleurs à ce que retient l’arrêté (interministériel) du 24 juin 2008 précisant les critères de définition des zones humides en application des articles L. 214-7-1 et R. 211-108 du code de l’environnement ».
La présente note vise à permettre aux services déconcentrés d’appliquer les dispositions légales et réglementaires précitées, telles que celles-ci ont été précisées par le Conseil d’État.
I. Caractérisation des zones humides : nécessité d'intégration et de la dimension écologique
Au regard des dispositions législatives et réglementaires applicables, la caractérisation des zones humides repose sur deux critères : la pédologie et la végétation.
La notion de « végétation » visée à l’article L. 211-1 du code de l’environnement doit être précisée : celle-ci ne peut, d’un point de vue écologique, que correspondre à la végétation botanique, c’est-à-dire à la végétation « spontanée ». En effet, pour jouer un rôle d’indicateur de zone humide, il apparaît nécessaire que la végétation soit attachée naturellement aux conditions du sol, et exprime - encore - les conditions écologiques du milieu (malgré les activités ou aménagements qu’elle subit ou a subis) : c’est, par exemple, le cas des jachères hors celles entrant dans une rotation, des landes, des friches, des boisements naturels, même éventuellement régénérés dès lors que ceux-ci sont peu exploités ou n’ont pas été exploités depuis suffisamment longtemps.
Ne saurait, au contraire, constituer un critère de caractérisation d’une zone humide une végétation « non spontanée », puisque résultant notamment d’une action anthropique (par exemple, végétation présente sur des parcelles labourées, plantées, cultivées, coupées ou encore amendées, etc.). Tel est le cas, par exemple, des céréales, des oléagineux, de certaines prairies temporaires ou permanentes exploitées, amendées ou semées, de certaines zones pâturées, d’exploitations, de coupes et de défrichements réalisés dans un délai passé qui n’a pas permis, au moment de l’étude de la zone, à la végétation naturelle de la recoloniser, de plantations forestières dépourvues de strate herbacée, etc.).
L’arrêt du Conseil d’État jugeant récemment que les deux critères, pédologique et botanique, de caractérisation des zones humides, sont cumulatifs en présence de végétation ne trouve donc pas application en cas de végétation « non spontanée ».
Ainsi, deux hypothèses peuvent se présenter :
Cas 1 : en présence d’une végétation spontanée, une zone humide est caractérisée, conformément aux dispositions législative et réglementaire interprétées par l’arrêt précité du Conseil d’État, à la fois si les sols présentent les caractéristiques de telles zones (habituellement inondés ou gorgés d’eau), et si sont présentes, pendant au moins une partie de l’année, des plantes hygrophiles. Il convient, pour vérifier si ce double critère est rempli, de se référer aux caractères et méthodes réglementaires mentionnés aux annexes I et II de l’arrêté du 24 juin 2008.
Cas 2 : en l’absence de végétation, liée à des conditions naturelles (par exemple : certaines vasières, etc.) ou anthropiques (par exemple : parcelles labourées, etc.), ou en présence d’une végétation dite « non spontanée », une zone humide est caractérisée par le seul critère pédologique, selon les caractères et méthodes réglementaires mentionnés à l’annexe I de l’arrêté du 24 juin 2008.
Dans ce contexte nouveau, il convient de porter une attention particulière aux points suivants, en termes d’itinéraires techniques de contrôle, voire d’avis technique :
- réaliser les relevés floristiques à la saison appropriée en anticipant les éventuelles modifications du cortège floristique et du pourcentage de recouvrement des espèces suite aux interventions anthropiques (influence de l’action de fauche et/ou de pâturage) ;
- réaliser les relevés pédologiques, de préférence en fin d’hiver et début de printemps, lorsqu’on se trouve en présence :
- de fluviosols développés dans des matériaux très pauvres en fer, le plus souvent calcaires ou sableux et en présence d’une nappe circulante ou oscillante très oxygénée ;
- de podzosols humiques et humoduriques, dont l’excès d’eau prolongée ne se traduit pas par les traits d’hydromorphie habituels facilement reconnaissables.
Dans chacun de ces types de sol, un examen des conditions hydrogéomorphologiques – en particulier profondeur maximale du toit de la nappe et durée d’engorgement en eau – devrait être réalisé pour apprécier la saturation prolongée par l’eau dans les 50 premiers centimètres de sol.
Lorsque les sols subissent ou ont subi des activités ou aménagements ne leur permettant plus d’exprimer pleinement leur caractère hydromorphe (par exemple : aménagement de lit mineur de cours d’eau abaissant la nappe alluviale empêchant d’entrer dans le critère des fluviosols, drainages importants et anciens, etc.), il convient de tenir compte de ces altérations dans l’appréciation des éléments pédologiques.
II. Cas spécifiques des marais
Il convient de souligner que la notion de « marais » est distincte de la notion de « zones humides », pour ce qui est de l’application de la rubrique 3.3.1.0 de la nomenclature IOTA. En effet, la jurisprudence administrative comme judiciaire a précisé que, dans l’hypothèse où les critères sols et végétation constitutifs d’une « zone humide » n’étaient pas remplis, un projet devait néanmoins être assujetti à la police de l’eau lorsque le terrain pouvait être qualifié de « marais » (à démontrer au regard de la localisation en zone de marais, de l’intégration de la parcelle dans un espace protégé portant le mot « marais », etc.). Cette jurisprudence concerne essentiellement les marais desséchés du marais poitevin ou les marais de Rochefort (TA Poitiers, 2 avr. 2015, n° 1202939 ; TA Poitiers, 13 mai 2015, n° 1202941 ; CAA Bordeaux, 15 déc. 2015, n° 4BX01762 ; Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-84.950 ; CAA Bordeaux, 11 avril 2017, n° 5BX02403).
III. Conséquences sur les inventaires de zones humides et sur les classifications relevant du code de l'urbanisme
À l’exception des inventaires préfectoraux réalisés sur le fondement de l’article L. 214-7 du code de l’environnement, les inventaires de zones humides préexistants réalisés sur le fondement du code de l’environnement constituent de simples « porter à connaissance » et valent uniquement présomption d’existence de zones humides. Ces inventaires, lorsqu’ils existent, peuvent donc être cités en complément des constatations matérielles opérées sur le terrain, mais ils ne peuvent être suffisants par eux-mêmes, d’autant qu’ils sont assis sur des méthodologies diverses et variées. Les zones humides identifiées dans les documents de planification « eau » (SAGE, SDAGE) ou d’urbanisme (SCOT, SRADDET) font partie de ces inventaires informatifs.
Il convient de différencier les inventaires réalisés sur le fondement du code de l’urbanisme, qui ont une autre portée juridique et ne sont pas concernés par la présente note. Ainsi, un PLU peut classer un secteur en zone humide quand bien même celui-ci ne pourrait être qualifié de zone humide au titre de l’article L. 211-1 du code de l’environnement : CAA Lyon, 18 janvier 2011, n° 10LY00293. Il en est de même des zones humides qui pourraient être qualifiées d’espaces remarquables en application des articles L. 121-23 et R. 121-4 du code de l’urbanisme.
IV. Conséquence sur l'arrêté du 24 juin 2008
L’arrêté du 24 juin 2008 modifié est explicitement contredit par la récente décision du Conseil d’État en tant qu’il prévoit une application alternative systématique des critères sols et végétation.
Toutefois, il demeure applicable dans sa dimension technique détaillant lesdits critères.
V. Conséquences sur la police adminsitrative et judiciaire
Instruction administrative (autorisation et déclaration loi sur l’eau au titre de la rubrique 3.3.1.0)
Pour les dossiers de demande en cours d’instruction correspondant au cas 1 ci-dessus, une analyse botanique sera réalisée par le pétitionnaire si le dossier ne comporte qu’une analyse « sols », et une analyse des sols devra également être réclamée dans les cas où la caractérisation s’est faite sur le seul critère végétation.
Par ailleurs, dans le cadre de leurs contributions à la phase d’instruction, il convient pour les organismes compétents (AFB, commissions locales de l’eau…) de veiller à procéder, si nécessaire, à la révision des avis techniques récemment émis sur des dossiers encore au stade de l’instruction dans les services de l’État, en ciblant par priorité les dossiers les plus stratégiques.
Toutefois, il n’apparaît pas nécessaire d’imposer à un pétitionnaire des coûts supplémentaires d’analyse d’un second critère lorsqu’il s’est satisfait dans son dossier d’incidences de la présomption d’existence d’une zone humide sur la base d’un seul critère, et que l’autorité administrative est en accord avec le périmètre de zone humide retenu.
Contrôles et suites en police administrative (cas du contrôle des titres requis ou du respect des prescriptions)
S’agissant des zones toujours caractérisables mais ne répondant plus aux critères des zones humides selon la présente note, il serait souhaitable que les services en charge des contrôles et les autorités administratives compétentes veillent à ce qu’aucune suite ne soit engagée (mise en demeure, mesures de police administrative et sanctions administratives) et aucun nouveau contrôle réalisé.
S’agissant des zones toujours caractérisables et pouvant être qualifiées de zones humides selon la présente note, des mesures de police administrative pourront être édictées, ce qui nécessitera, le cas échéant, lorsque les rapports de manquement sur lesquels sont fondées les mises en demeure n’auraient pas apporté l’ensemble des éléments caractérisant la zone humide de compléter ce rapport (avec remise d’une copie à l’intéressé pour observations) ou de réaliser une nouvelle opération de contrôle et un nouveau rapport.
Contrôles et suites en police judiciaire
Il apparaît opportun d’informer le ou les parquets de votre ressort de cette note et solliciter leurs éventuelles consignes particulières ; il serait souhaitable dans ce cas d’accompagner cet envoi d’une liste des procédures judiciaires intéressées (numéro parquet à préciser), à savoir tous les constats d’infractions de travaux sans autorisation ou sans déclaration en zone humide adressés aux parquets depuis le 1er mars 2014 (art. L. 173-1 du code de l’environnement) ou le 1er mars 2016 (art. R. 216-12) et présentant une suite judiciaire non définitive à ce jour selon vos informations. Les constats en zone de marais ne sont pas concernés.
En cas d’infractions en zone humide correspondant au cas n° 1, il pourra être nécessaire de procéder à de nouvelles constatations complémentaires de terrain sur instruction préalable du parquet (afin d’anticiper l’éventuelle contestation de l’existence de la zone humide), si celles-ci s’avèrent encore pertinentes à ce jour pour caractériser l’état des lieux du site infractionnel.
Il conviendra de réaliser prioritairement ces nouvelles constatations complémentaires de terrain sur instruction préalable du parquet sur les constats d’infraction donnant lieu à poursuites en cours devant une juridiction de jugement (première instance ou appel).
En cas de difficultés particulières d’application, l’appui des services de police de l’environnement des directions (inter)régionales de l’Agence française pour la biodiversité mérite d’être mobilisé.
Le bureau des milieux aquatiques de la direction de l’eau et de la biodiversité du ministère se tient à votre disposition pour tout complément d’information. Je vous invite à me faire part de toute difficulté rencontrée dans l’application de cette note et à me tenir informé de la progression de sa mise en oeuvre.
La présente note sera publiée au Bulletin officiel du ministère de la transition écologique et solidaire ainsi que sur le site Internet http://circulaires.legifrance.gouv.fr/ .
Fait le 26 juin 2017.
Pour le ministre et par délégation :
Le directeur de l’eau et de la biodiversité,
F. Mitteault