NOR : DEVN1019191C
Le ministre d’Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat :
Pour exécution : Mesdames et Messieurs les préfets de département
Pour information : Madame et Messieurs les préfets de région
Résumé : La présente circulaire rappelle aux préfets les principales règles à respecter lors de l'établissement des listes départementales des espèces d'animaux classés nuisibles.
Domaine : Écologie, développement durable
Mots clés : Agriculture, espace rural, viticulture, bois et forêts, énergie, environnement
Mots clés libres : espèces susceptibles d'être classées nuisibles ; contentieux de l'excès de pouvoir
Texte(s) de référence : article R.427-6 et R.427-7 du code de l'environnement
Précédentes circulaires :
- Instruction PN/S2 n° 88/9 du 9 novembre 1988 relative à l'application du décret n° 88-940 du 30 septembre 1988 relatif à la destruction des animaux classés nuisibles en application du premier alinéa de l'article 393 du code rural ;
- Lettre-circulaire du 8 octobre 1993 relative au classement des espèces nuisibles dans les départements ;
- Lettre-circulaire du 3 juillet 1995 relative au classement des espèces nuisibles dans les départements ;
- Circulaire DNP/CFF n° 99-l du 27 juillet 1999 relative à l'établissement de la liste des animaux classés nuisibles susceptibles d'être détruits par les particuliers dans tout ou partie du département ;
- Circulaire NOR : DEVN0210395C relative au classement de la martre, de la belette et du putois sur la liste des espèces susceptibles d'être classées nuisibles (Bulletin officiel n° 03/2 du 30 janvier 2003)
Circulaire(s) abrogée(s) : néant
Date de mise en application : immédiate
Les arrêtés préfectoraux établissant les listes départementales d'espèces d'animaux nuisibles font l'objet d'un abondant contentieux et sont trop fréquemment annulés, pour des motifs toujours identiques.
En outre, les contentieux indemnitaires en matière de classement des animaux nuisibles se multiplient : les décisions qui, postérieurement à l'annulation d'un arrêté préfectoral par le juge de l'excès de pouvoir, condamnent l’Etat à indemniser les associations oeuvrant contre la destruction de ces espèces du préjudice que leur a causé l'application de l'arrêté sont de plus en plus nombreuses.
La présente circulaire a pour objet de vous rappeler les principales règles à respecter lors de l'établissement de la liste des animaux classés nuisibles dans votre département, en distinguant suivant la cause juridique dont elles procèdent.
Elle répète et précise mes précédentes circulaires, citées en référence.
I. Sur le plan de la légalité interne
L'inscription d'une espèce sur la liste départementale doit être soigneusement justifiée au regard des exigences du droit national (1°) et du droit communautaire (2°).
I-1°) L’inscription d'une espèce sur la liste départementale doit être soigneusement justifiée au regard du droit national
Conformément à l'article R.427-7 du code de l'environnement, l'inscription d'une espèce sur la liste départementale des nuisibles doit tenir compte de la situation locale, et être justifiée par l'un des motifs suivants :
1° Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ;
2° Pour prévenir des dommages importants aux activités agricoles, forestières et aquacoles ;
3° Pour assurer la protection de la flore et de la faune.
D'après la jurisprudence du Conseil d’Etat, il résulte de ces dispositions qu'au titre d'une année considérée, il peut être légalement procédé au classement, parmi les nuisibles, d'une espèce figurant sur la liste nationale établie par l'arrêté ministériel du 30 septembre 1988 :
- dès lors que cette espèce est répandue de façon significative dans le département et que, compte tenu des caractéristiques géographiques, économiques et humaines de celui-ci, sa présence est susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par les dispositions de l'article R.427-7 du code de l'environnement ;
- ou dès lors qu'il est établi qu'elle est à l'origine d'atteintes significatives aux intérêts protégés par ces mêmes dispositions.
Deux hypothèses alternatives sont donc envisageables :
- soit l'espèce considérée est d'ores et déjà à l'origine d'atteintes significatives aux intérêts protégés par l'article R.427-7, auquel cas il suffit, pour justifier son inscription sur la liste, d'établir ces atteintes significatives ;
- soit les atteintes portées par l'espèce ne peuvent être qualifiées de « significatives », et il est alors nécessaire d'établir, d'une part, qu'elle est significativement répandue dans le département et, d'autre part, que les caractéristiques du département rendent la présence de cette espèce « susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés ».
A) Espèces pour lesquelles les atteintes significatives sont établies
La preuve d'atteintes significatives est, par définition, aisée à apporter. En effet, si l'évaluation des dommages causés par l'espèce a nécessité des investigations minutieuses ou des traitements statistiques complexes, il sera malaisé d'affirmer que ces atteintes sont significatives ; a contrario, la décision d'inscrire une espèce sur votre liste départementale sera difficilement contestable lorsque de nombreuses plaintes, des témoignages circonstanciés, des études épidémiologiques ou des évaluations chiffrées vous auront alerté de manière convaincante sur les nuisances qu'elle cause.
B) Espèces pour lesquelles les atteintes ne peuvent être qualifiées de significatives
Le plus grand soin doit être apporté pour justifier l'inscription sur la liste départementale d'une espèce dont les atteintes ne peuvent être qualifiées de significatives. Dans ce cas, le juge administratif n'admet en effet aucune « présomption de nuisibilité » et contrôle strictement le respect, pour l'espèce considérée, des deux critères cumulatifs posés par le Conseil d’Etat :
- l'espèce doit être répandue de façon significative dans le département ;
- et, compte tenu des caractéristiques géographiques, économiques et humaines de celui-ci, sa présence doit être susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par les dispositions de l'article R.427-7 du code de l'environnement.
Sur le premier point, le Conseil d’Etat juge qu'en l'absence d'étude scientifique, les réponses faites par les maires, les comptes-rendus de piégeage et les résultats des prélèvements effectués durant les campagnes précédentes constituent des indicateurs fiables pour mesurer l'importance des populations (CE, 20 octobre 1997, n° 121377, Fédération départementale des chasseurs de l'Aisne et a.) : l'analyse de ces éléments doit effectivement être conduite chaque année, de manière à éclairer votre décision.
Toutefois, je vous demande de privilégier la réalisation - puis la mise à jour régulière - d'études scientifiques permettant d'évaluer, en plus des prélèvements, les effectifs dans votre département de chacune des espèces figurant sur la liste nationale.
S'agissant du second critère, je vous invite à réunir des informations sur les caractéristiques géographiques, économiques et humaines de votre département de nature à justifier dans quelle mesure la présence significative d'une espèce est susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par les dispositions de l'article R.427-7 du code de l'environnement. Cet état des lieux pourra notamment présenter :
- les superficies consacrées aux différentes cultures (y compris les vergers et les vignes) ;
- l'implantation des élevages (y compris l'apiculture et le petit gibier) et la composition des cheptels ;
- les habitudes locales de production (dates de semis et de récolte, élevages en plein air...) ;
- les dégâts et nuisances constatés au cours des saisons précédentes.
Cet état des lieux devra permettre d'identifier, pour chacune des espèces significativement répandues dans votre département, les éléments du contexte local qui la rendent susceptible - ou non - de porter atteinte aux intérêts protégés par l'article R.427-7.
En l'absence d'éléments suffisamment probants dans l'étude scientifique ou dans l'état des lieux géographique, économique et humain du département, je vous demande de ne pas inscrire l'espèce considérée sur votre liste départementale. Je rappelle à ce propos :
- que le classement d'une espèce peut ne concerner qu'une partie du département ;
- que les dispositions de l'article L.427-6 du code de l'environnement vous permettent d'ordonner des chasses et battues générales ou particulières dans le cas où des dégâts ponctuels causés par une espèce qui n'a pas été classée nuisible rendraient nécessaire la destruction de quelques spécimens.
I-2°) Pour certaines espèces, l'inscription sur la liste départementale est en outre encadrée par le droit communautaire
Il découle de l'article 9 de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages que l'inscription d'une espèce d'oiseau sur la liste départementale n'est possible que s'il n'existe pas d'autres solutions satisfaisantes. Lorsque les considérations présentées plus haut vous auront convaincu de la nécessité d'inscrire sur votre liste départementale le corbeau freux, la corneille noire, l'étourneau sansonnet, le geai des chênes, la pie bavarde ou le pigeon ramier, vous devrez donc, préalablement au classement de ces espèces comme nuisibles, avoir mis en oeuvre ou étudié des solutions alternatives à leur destruction (CE 4 mai 1998, n° 162420 ; CE 30 décembre 1998, n° 165455).
Ces solutions sont nombreuses (épouvantails, effarouchement sonore, filets de protection, chasse à tir en période d'ouverture, chasse au vol...) et vous devrez établir en quoi leur mise en oeuvre est impossible ou insatisfaisante dans votre département.
En application de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 dite directive « Habitats », les mêmes exigences s'appliquent au classement de la martre et du putois.
II. Sur le plan de la légalité externe
L'établissement de la liste des animaux classés nuisibles doit être l'aboutissement d'une large concertation, le code de l'environnement imposant la consultation préalable :
- de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage ;
- et de la fédération des chasseurs.
La présente circulaire est l'occasion de vous rappeler qu'en application du décret n° 2006-672 du 8 juin 2006, les membres de la CDCFS devront avoir reçu, cinq jours au moins avant la date de la réunion, une convocation comportant l'ordre du jour et les documents nécessaires à l'examen de votre projet d'arrêté.
Je vous propose de considérer comme nécessaires à l'examen du projet d'arrêté les trois études mentionnées ci-dessus, à savoir : l'étude scientifique relative à l'état des populations dans le département, le descriptif de ses caractéristiques géographiques, économiques et humaines et l'étude de faisabilité des différentes solutions alternatives (pour les espèces inscrites à l'une des directives « Oiseaux » ou « Habitats »).
La transmission de ces documents moins de 5 jours avant la séance, ou pire, la distribution en cours de séance, est à proscrire : un tel vice de procédure entachera automatiquement l'arrêté d'illégalité.
En conclusion, je vous informe que la réglementation relative aux espèces nuisibles va faire prochainement l'objet d'une importante réforme, suite à la mission que j'ai confiée à M. Pierre Lang en janvier 2009 : si cette réforme prévoit, entre autres, d'attribuer au ministre chargé de la chasse la compétence pour établir les listes départementales d'espèces nuisibles, vous noterez dès à présent que vous demeurerez compétents dans le cadre de la future procédure pour me proposer les espèces à classer dans votre département, ceci dans le strict respect des principes qui viennent de vous être exposés.
Fait à la Défense, le 23 juillet 2010
Pour le ministre d’Etat et par délégation :
Le Secrétaire général,
Jean-François MONTEILS
Pour le ministre d’Etat et par délégation :
La directrice de l'eau et de la biodiversité,
Odile GAUTHIER