(BO MTES - MCTRCT du 15 juin 2023)


NOR : TREP2313970V

L’intensité et les conséquences de l’explosion accidentelle de produits à base de nitrate d’ammonium survenue sur le port de Beyrouth le 4 août 2020 ont fait réapparaitre un questionnement sur l’état actuel des règles de prévention des risques applicables à ces produits et des connaissances en matière de calcul des distances d’effets de surpression.

À la suite de cet accident, le gouvernement a confié au Conseil général de l’économie et au Conseil général de l’environnement et du développement durable, la mission d’expertiser la gestion des risques liés à la présence d’ammonitrates dans les ports maritimes et fluviaux.

En parallèle, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) a entrepris, à la demande du ministère de transition écologique, un travail de mise à jour des connaissances en matière de calcul des distances d’effets de surpression liés à la détonation d’un îlot d’ammonitrates, afin d’évaluer la nécessité d’actualiser les paramètres figurant dans les formules actuellement utilisées. Cette étude a pris en compte le retour d’expérience de ces dernières années, ainsi que les valeurs des paramètres et règles utilisées par d’autres pays. Elle met en évidence le fait que les distances d’effets de surpression d’une explosion accidentelle d’ammonitrates actuellement calculées selon les règles applicables aux installations classées méritent d’être actualisées.

Une première évolution réglementaire a pris en compte ces conclusions, s’agissant des ammonitrates dans les ports maritimes, via l’arrêté du 7 février 2022 portant modification du règlement annexé à l’arrêté du 18 juillet 2000 réglementant le transport et la manutention des matières dangereuses dans les ports maritimes. Les distances d’éloignement forfaitaires entre îlots d’ammonitrates présents dans les ports maritimes ont ainsi été augmentées.

ll convient désormais de prendre en compte ces enseignements pour :
- l’évaluation des risques des installations classées pour la protection de l’environnement ;
- leur prise en compte dans les plans particuliers d’intervention, qui constituent la principale conséquence concrète de cette ré-évaluation des risques.

L’annexe jointe au présent avis fixe les nouvelles règles techniques applicables pour la quantification des distances d’effets de surpression d’une explosion accidentelle d’ammonitrates au sein des études de dangers. Les zones d’évacuation et de mise à l’abri des populations définies au sein des plans particuliers d’intervention devront, par conséquent, être mises en cohérence avec ces nouvelles distances. 

Les études de dangers des installations, soumises au régime de l’autorisation au titre de la pour intégrer ces évolutions selon les règles précisées en annexe. Les études de dangers devront être modifiées ou faire l’objet d’un complément spécifique pour intégrer ces nouvelles distances d’effets.

Ainsi, pour les installations faisant l’objet d’un plan particulier d’intervention (PPI), cette mise à jour devra être intégrée au plan dans les meilleurs délais à compter de la transmission des éléments techniques nécessaires au service concerné de la préfecture de département. Dans tous les cas la mise à jour du PPI doit être réalisée dans un délai inférieur à cinq ans à compter de sa dernière révision, et ce délai est réduit à 3 ans pour les installations mentionnées au L. 515-36 du code de l’environnement, c’est-à-dire les installations « Seveso seuil haut » (article R 741-29 du code de la sécurité intérieure). 

Le nouveau calcul de distance d’effets entrainera un ajustement du périmètre du PPI. Ce changement constitue une modification substantielle du plan et oblige ainsi à la mise en œuvre des procédures prévues aux articles R. 741-25 à R. 741-27 du code de la sécurité intérieure, notamment pour ce qui concerne la consultation des populations. 

Pour les autres installations, ce nouveau calcul de distance d’effet devra être pris en compte lors de la prochaine mise à jour ou révision de l’étude de dangers de l’installation, notamment en cas de modification de l’installation prévue à l’article R. 181-46 du code de l’environnement et conduisant à une mise à jour ou une révision de cette étude. 

Par ailleurs, conformément à la circulaire du 10 mai 2010 récapitulant les règles méthodologiques applicables aux études de dangers, à l’appréciation de la démarche de réduction du risque à la source et aux plans de prévention des risques technologique dans les installations classées en application de la loi du 30 juillet 2003, la mise à jour des distances d’effets de surpression en cas de détonation n’a pas de conséquence sur les dispositions relatives à la maîtrise de l’urbanisation autour de ces installations. 

Enfin, le présent avis se substitue à la circulaire du 21 janvier 2002 relative aux installations classées : Prévention des accidents majeurs dans les dépôts d’engrais soumis à autorisation au titre de la rubrique n° 1331 de la nomenclature (NOR : DEVPR0200003C).

Le présent avis sera publié au bulletin officiel du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Fait le 6 juin 2023

Le directeur général de la prévention des risques
Cédric BOURILLET

Le Préfet, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises
Alain THIRION

Annexe : Précisions techniques pour la prévention des accidents majeurs des dépôts d’engrais soumis à autorisation au titre de la rubrique 4702 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement

A. Contexte

Les diverses estimations de la puissance destructrice de l’explosion, survenue le 4 août 2020 dans le port de Beyrouth, ont fait réapparaitre un questionnement sur l’état actuel des connaissances en matière de calcul des distances d’effets de surpression, lors d’une explosion accidentelle de produits à base de nitrate d’ammonium.

À la suite de l’accident de Beyrouth, les estimations de cette puissance destructrice, quantifiées en masse de trinitrotoluène (TNT), correspondant à l’équivalent TNT global de la charge explosive, qui varient entre 400 et plus de 1500 tonnes selon les sources et la méthodologie utilisées, n’ont pas fait l’objet d’un consensus international.

Le rapport n° 203807 - 2519719 du 19 janvier 2022 relatif à l’étude des distances d’effet à la suite de la détonation d’un îlot de nitrate d’ammonium de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) met en évidence que l’un des paramètres de la formule utilisée pour le calcul des distances d’effets, repris par la circulaire du 21 janvier 2002, apparaît être le minorant des valeurs recommandées par les réglementations et les référentiels professionnels internationaux. Par conséquent, les distances réglementaires calculées pour évaluer les effets d’un accident sont vraisemblablement sous-estimées au regard de l’état de l’art actuel.

B. Champ d’application

En préambule, il convient de préciser que les produits à base de nitrate d’ammonium impliqués dans l’explosion survenue dans le port de Beyrouth le 4 août 2020 sont différents des produits visés par le présent avis. Le produit en cause était du nitrate d’ammonium de qualité technique (NAT), destiné à la mise au point d’explosifs. Il était entreposé depuis plusieurs années dans des conditions dégradées ayant pu altérer sa qualité.

Les produits visés par le présent avis sont les engrais solides simples et composés à base de nitrate d’ammonium correspondant aux spécifications du règlement 2019/1009 du Parlement européen et du Conseil ou de la norme française équivalente NFU 42-001-1, et répondant aux critères I, II ou III définis à la rubrique 4702 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Le respect de ces spécifications confère aux engrais concentrés en nitrate d’ammonium, en proportion aussi élevée que le nitrate d’ammonium de qualité technique, une faible aptitude à générer une détonation. Toutefois, lorsque les exigences de sécurité, imposées par l’arrêté du 13 avril 2010 relatif à la prévention des risques présentés par ces stockages, ne sont pas atteintes, la qualité des engrais peut être altérée de par les conditions de stockage, et ils peuvent être exposés à des événements pouvant conduire à leur détonation.

C. Quantification du phénomène dangereux associé aux dépôts d’engrais solide à base de nitrate d’ammonium – Détonation

Les distances d’effets de surpression consécutives à la détonation accidentelle d’un îlot d’engrais solide à base de nitrate d’ammonium sont fonction de la masse explosible. Pour un effet donné, sa distance est calculée par l’application d’une formule, faisant intervenir la notion d’équivalent TNT, par référence à cet explosif dont les effets sont particulièrement connus.

La distance d’un effet donné, depuis le centre de la charge explosible, se calcule par l’application de la formule suivante :

Avis20230660_1

D (effet donné « i ») : distance (en mètres) associée à l’effet donné « i » ;

Ki : constante associée à l’effet donné « i » ; p : proportion de la masse M susceptible de détonner ;

M : masse (en kg) des engrais à considérer ;

Eq TNT : coefficient d’équivalence TNT.

Compte tenu des enseignements de l’étude du 19 janvier 2022 de l’Ineris, le tableau suivant indique les valeurs des paramètres p et Eq TNT chimique pour l’application de la formule précédente. 

Paramètres de la formule de calcul de la distance d'un effet donné  Valeur associée
                                                             p         0,25
                                                       Eq TNT          0,3

Les ordres de grandeurs des coefficients équivalents TNT (Eq TNT) sont proportionnels à la teneur en azote de l’engrais. Dans la majorité des cas, les exploitants sont amenés à stocker des engrais de différentes teneurs en nitrate d’ammonium. Le coefficient Eq TNT égal à 0,3 (30 %) enveloppe le cas le plus défavorable.

Une valeur d’équivalence inférieure peut être proposée par l’exploitant dans le cas où il est en mesure de justifier qu’il ne peut être présent, au sein de l’installation, qu’un même type d’engrais.

Le cas échéant, le type d’engrais stocké est réglementé par l’arrêté d’autorisation et son respect est contrôlé par l’inspection des installations classées.

En vue de ce résultat, la valeur du facteur M de la formule de calcul des distances d’effets doit correspondre à la masse du dépôt d’engrais situé au sein de la plus grande des cases de stockage.

Règles spécifiques pour les seuils des distances d’effets Le tableau suivant rappelle les valeurs des constantes Ki pour l’application de la formule du calcul des distances d’effets selon des seuils d’effet donné « i » :

Désignation des seuils Seuil des effets létaux significatifs Seuil des effets létaux (SEL) Seuil des effets irréversibles Seuil des effets indirects
Valeur de la constante Ki associée                            8                     15                      22                   44

Les seuils ci-dessus sont définis en annexe 2 à l’arrêté du 29 septembre 2005.

D. Quantification du phénomène dangereux associé aux dépôts d’engrais solide à base de nitrate d’ammonium – la décomposition thermique et auto-entretenue

Sous l’effet de chaleur, le nitrate d’ammonium qui compose les engrais se vaporise et génère l’émission de gaz toxiques et corrosifs.

D.1 Décomposition thermique

Lorsque l’exposition à une source de chaleur est durable, notamment en raison d’un incendie à proximité, une quantité importante de nitrate d’ammonium va fondre et se décomposer et engendrer une dispersion de gaz toxiques, tels que les oxydes d’azote, les dioxydes d’azote et les protoxydes d’azote.

À cet égard, les valeurs à retenir sont l’émission de :
- 580 kg de dioxyde d’azote et ;
- 210 kg d’ammoniac,

lorsqu’une tonne de nitrate d’ammonium s’est décomposée.

D.2 Décomposition auto-entretenue

Lorsqu’est présent un dépôt d’engrais répondant au critère I de la rubrique 4702 de la nomenclature ICPE (engrais NPK, NP, NK), en complément de nitrate d’ammonium, ces engrais sont composés d’éléments chimiques, tels que le potassium et le phosphate, qui viennent modifier les réactions de décomposition thermique. Un phénomène de décomposition auto-entretenue correspond à une réaction exothermique, qui est amorcée par un point chaud et se propage au sein du stockage sans apport complémentaire de chaleur. Cette décomposition auto-entretenue (DAE) est assimilable à une déflagration de très faible vitesse.

La vitesse du front de décomposition à retenir est de 75 cm/h sur le plan horizontal dans un tas en vrac, et de 150 cm/h pour les vitesses verticales ascendantes en raison du phénomène de convection. Cette décomposition produit un nuage opaque de vapeur d’eau et de gaz toxiques, tels que le chlorure d’hydrogène, le dichlore et des oxydes d’azote. Pour une tonne d’engrais décomposée, les produits de décomposition sont environ 350 à 450 m3 de gaz et 300 à 600 kg de résidus solides. Aucune flamme n’est visible et le front de décomposition est difficile à localiser, compte tenu de son déplacement au cœur de la masse.

Règles spécifiques pour la décomposition thermique et auto-entretenue

Concernant les plans particuliers d’intervention, qui sont établis en utilisant des hypothèses pessimistes, lors du scénario de décomposition thermique, il convient de retenir l’amorçage de la décomposition par l’incendie d’un engin de manutention, par exemple un chouleur.

Lors du scénario de décomposition auto-entretenue, il convient d’envisager un amorçage situé au cœur du tas d’engrais répondant au critère I de la rubrique 4702. Dans le cas de stockage situé au sein de bâtiment, les hypothèses d’un confinement dégradé, avec des accès maintenus ouverts, sont à retenir pour le calcul de dispersion. De plus, les conditions météorologiques à envisager sont les plus défavorables vis-à-vis de la dispersion des produits de décomposition.

Par ailleurs, pour la quantification des scénarios des plans particuliers d’intervention, la vitesse de décomposition auto-entretenue à retenir est de 150 cm/h dans toutes les directions. Compte tenu du fait que le phénomène de convection ne concerne que la décomposition verticale, des vitesses de décomposition horizontales de 30, 90 et 120 cm/h sont également à intégrer dans les modélisations de différents scénarios accidentels.

Les conclusions de l’expertise des essais effectués en 2004 sur les engrais composés relatifs aux scénarios de décomposition auto-entretenue confortent les hypothèses ci-dessus.

Concernant la maîtrise de l’urbanisation, la quantification des scénarios de décomposition peut être réalisée avec des configurations de scénarios moins pessimistes, notamment avec des dispositions d’évacuation naturelles des fumées plus représentatives des conditions d’exploitation des installations.